La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mercredi 14 décembre 2011

le journal de Tempo n°12, chronique d'un chien presqu'humain

Alors que je viens de relire le précédent épisode, je me rends compte que j’ai laissé mes fidèles lecteurs dans un suspense atroce. Comment ont-ils supporté l’inquiétude de me savoir entre des mains si cruelles ? Cela dit, la leçon a inspiré à Mam’hum un nouveau motif à dressage. Depuis plusieurs semaines, deux fois par jour, je consens à revêtir une muselière, assez seyante, je dois le dire, à la tendre injonction de faire « mumuse ». Au début, je me rebiffai : j’ai horreur que l’on me tripote le museau, l’organe intime de mon flair de chien. Puis, récompense(s) aidant, j’ai appris à enfiler la muselière sans rechigner même si l’accessoire est gênant sans compter le ridicule, qui par analogie, me fait ressembler à un caniche habillé pour l’hiver. Evidemment, la muselière me prive d’un certain nombre de capacités que je développe plus vite que ne le voudraient parfois mes maîtres. Je parviens à saisir par exemple toute sorte d’objets dont l’usage néanmoins m’échappe. Qu’il s’agisse de stylos, de porte-mines, de surligneurs, de ciseaux, de lunettes, d’agrafeuse, de souris, de clé USB, etc. ils ont tous en commun d’appartenir à Mam’hum, de contenir son empreinte, et, ustensiles de bureau comme prolongements cérébraux, de stimuler mon intellect..
Premièrement, Mam’hum dit : QU’EST-CE QUE C’EST ? Elle traîne sur le dernier phonème pour me flanquer la trouille.
Puis, elle ajoute au choix : VILAIN CHIEN, AFFREUX POULELOU, HORRIBLE LOUPEDELOU suivant la valeur accordée à l’objet ( Tout surnom associé atténue immédiatement la sévérité du ton ). Je me fige ou dans le meilleur des cas, je fourre ma tête dans un petit coin, à l’abri d’une part d’éventuelles calottes ( si, si, Mam’hum me frappe ! ) mais surtout pour conserver mon trophée le plus longtemps possible. Les porte-mines sont un vrai régal : ils craquent sous la dent comme une chips et la gomme est un vrai bonbon.
Ensuite, Mam’hum analyse la situation. Le schéma d’actions est assez compliqué. En résumé,
« le chien conserve le porte-mine en gueule, oui ? non ?
Si oui, ordonnez qu’il lâche par un « DONNE » ferme et sans réplique. Si non, s’approcher doucement en veillant à ne pas le mettre dans l’impossibilité de s’échapper, car comme dans le fameux ouvrage de stratégie militaire de Tsun Tseu, acculé dans ses retranchements, et sans échappatoire possible, l’adversaire ne peut qu’aller à l’affrontement, courageux et vaillant alors qu’une voie de dégagement le rend faible, lâche.
« le chien se met à grogner, oui ? non ?
Si oui, vous avez du souci à vous faire. Si non, continuez à avancer.
« le chien se met à grogner plus fort, oui ? non ?
Si oui, allez chercher un journal, roulez-le pour en faire un sorte de bâton. Attention cependant à ne pas utiliser votre quotidien favori, le chien l’associerait automatiquement à la correction qui l’attend et votre lecture du soir en serait fâcheusement perturbée.  Si non, continuez à avancer –  des tout petits pas car la procédure n’est pas encore finie.
« le chien grogne toujours et retrousse ses babines, mauvais, menaçant, belliqueux, l’œil largement courroucé, oui ? non ?
Si oui, assénez-lui un bon coup de journal sur le postérieur, non mais ! Si non, continuez à avancer
« le chien grogne et regrogne comme chez le véto qui, pauvre déraisonnable, voudrait lui mettre une muselière, oui ? non ?
Si oui, suivez la procédure d’urgence ci-jointe. Si non, récupérez l’objet en question et félicitez-vous d’ignorer la procédure d’urgence ci-jointe.

Procédure d’URGENCE
( En cours de rédaction. Le service qualité décline toute responsabilité en cas de sinistre. Néanmoins, vous pourrez consulter avec profit la procédure de RAPPEL par défaut )

Procédure de RAPPEL
« le chien doit vous suivre, oui ? non ?
Si oui, prononcez d’une voix claire et enjouée : Si tu viens, tu auras une récompense. Si non, vaquez à vos occupations et laissez le chien vaquer aux siennes. Il est salutaire pour l’équilibre de la meute-famille de ne pas toujours être sur le dos des uns et des autres.
« le chien suit, oui, non ?          
Si oui, félicitez-le chaleureusement et donnez-lui son dû après avoir cependant obtenu de lui une petite courbette de récompense – très facile vu les circonstances alléchantes. Si non, prenez conscience une fois pour toute, mais sans culpabilité, que votre chien est mal EDUQUE ! Le rappel ne se conçoit que du premier coup, un rappel du rappel est une preuve patente d’échec.




le journal de Tempo n° 10, chronique d'un chien presqu'humain

20 décembre

C’est mon premier Noël. J’attends l’événement avec une pointe d’appréhension. Car les premières fois ne sont pas toujours satisfaisantes. Pour exemple, j’ai pris pour la première fois le cargo pour traverser la Méditerranée et quand nous avons mis patte à terre, j’ai pris la première fois l’autoroute en niche ambulante. Un conseil : si vous êtes chien - ou enfant c’est pareil : notre tolérance au changement est voisine - évitez ce genre de fredaines ! L’expérience laissera une trace durable dans votre mémoire comme dans la cire molle. Le seul bénéfice tient au récit que l’on peut en faire, les voyages ont inspiré tant de littérateurs, de Stendhal à Le Clézio sans passer par Pierre Benoît qui a écrit Les Agriates sans jamais mettre les pieds en Corse, à ce qu’on dit - comme quoi, la locomotion est peu de chose à côté de l’imagination. 
D’abord, pour loger tous les bagages, Pap’hum a reculé la banquette arrière si bien que j’étais tout ratatiné à l’arrière, à peine la place d’étendre les pattes. Puis nous avons embarqué. Egayé à l’idée de parcourir les salons, les coursives et les ponts, avec l’allure décontractée du croisiériste richissime, recueillant ça et là compliments et petites voluptés de bouche, j’abordais cette traversée avec confiance et allégresse. Et surtout, je me réjouissais de partager la cabine de mes parents hum’. Fort du fait qu’à l’hôtel, on élargit mon droit de carpette au lit conjugal, je me disais que nous pourrions réunir notre meute famille dans un même sommeil au creux d’une même bannette, doucement bercés par les mêmes flots, accrochés au fil des mêmes rêves. Hélas. La déconvenue fut à la mesure de ma candeur : immense. En effet, sans rien m’en dire, mes parents hum’ m’avait réservé une cabine à part, au deuxième pont. En le comprenant, je m’en trouvai bien marri – adieu petits caninous sous les couvertures, adieu petits chatouillis avant de s’endormir - mais bon, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je me consolais à l’idée que passer une nuit tout seul, en un lieu inconnu, livré à moi-même en quelque sorte, me donnerait un avant-goût de l’émancipation, promu responsable de moi-même, l’indépendance à ma charge. A cette pensée courageuse, je bombai le torse, allongeai le cou et montai l’escalier crânement si bien que Mam’hum finit par se laisser tirer par la laisse sans plus résister. Nous gagnâmes ainsi le pont 2 dont je ne vis malheureusement jamais l’extérieur. Une porte à ma droite s’ouvrait vers un couloir profond. Croyant là  passage pour gagner les machines ou les compartiments de stockage, sans m’attarder, je continuai mon ascension vers le pont 3. D’un coup, je sentis une secousse, Mam’hum me tirait en arrière, déjà engagée dans le couloir. Je crus un moment qu’elle voulait m’instruire des réalités cachées de ce gros navire ; je la suivis donc, avec curiosité. Or, en lieu et place de machines, de vilebrequin et de bielles, je découvris avec épouvante une rangée de cages cadenassées occupées pour la moitié d’entre elles de confrères terrorisés, mal peignés, prostrés. Le choc me coupa le souffle. Tels des déportés, ils partageaient le même abrutissement ; comme un abrasif puissant, la détention leur avait ôté toute dignité et dans leurs corps, rampants, se lisaient toute la cruauté de la captivité, la folie des hommes à vouloir enchaîner la nature à leur volonté. Je ne sais de la pitié ou de la stupeur ce qui dominait en moi. Profitant de ce moment de sidération, Mam’hum ouvrit une cellule, et me poussa à l’intérieur après m’avoir détaché lestement de ma laisse, notre lien, notre ancrage.
La nuit fut affreuse. J’avais l’estomac vide depuis la veille ; mon cachot était propre comme celle d’un rat de laboratoire, nulle petite miette laissée par le précédent occupant, un chien d’arrêt, m’indiquait mon flair. A dire vrai, c’est davantage le réconfort moral que procure la croquette que je recherchais, la perspective de passer la nuit dans cette promiscuité me coupant l’appétit d’autant que le bateau roulait, tanguait à qui mieux mieux, guère plus stable qu’un bouchon. La mer, peu commode, m’emportait loin de mon île natale, je me sentais à la merci aussi bien des éléments que des hommes et réalisai d’un coup à quel point grandir substitue la privation à l’abondance et fait de la rupture un mode de croissance. Qui plus est, j’allais endurer la séparation dans l’injustice de la réclusion, une cacophonie d’aboiements, l’estomac comme un yoyo, une solitude imméritée. Je ne considérai mon avenir que sous l’angle de la perte, du bol d’eau à moitié vide, de la pénurie et de l’absence ; le souvenir des jours heureux ajoutait à mon effondrement : comment n’avais-je point pressenti la coalition secrète et terrible de la promesse avec la trahison, du plein avec le vide ? Je m’assis au fond de la cage, l’esprit lourd de reproches dirigés aussi bien contre moi que contre les humains, lesquels, semblaient cautionner cette alliance implacable du jour et de la nuit, sans lever le petit doigt. Ce que mes parents hum’ prirent pour de la coopération n’était que démission, je me couchai sur ma carpette à leur invite et acceptai leurs caresses dans une indifférence qui acheva de me démoraliser tout-à-fait. Le museau dans les pattes, je cherchais vainement dans mon âme l’endroit de la bravoure mais plus je pensais m’approcher de ma force intérieure, plus je découvrais de terres meubles et de sablières inondées, décourageant à bâtir un quelconque monument de courage. Mon fond était mou, mon squelette était de verre. Et tandis que mes congénères grattaient, hurlaient, pleuraient, ma langue léchait mon poil, faute de parvenir à la plaie. Je fermai les yeux, et dans un long soupir, ouvrit le chemin au chagrin. Mam’hum me dit : «  A domani ». « Si Dieu le veut », je répondis, subitement croyant. Sans bien le mesurer, je venais, dans un réflexe d’humilité, de pénétrer au plus profond des mythes dans un investissement de l’Inconnaissable comme condition de vie ; mes benoîtes certitudes s’y étiolaient entraînant avec elles l’assurance de l’enfance dans le gouffre des doutes et des suppositions. Et si on m’abandonnait ? Et si le ciel m’était à jamais dérobé, le soleil arraché, le vent enlevé ? Et si la vie n’avait pas de sens ? Un si effrayant, la dominante mineur de mon requiem, l’in-si-gnifiance réduite à la plus simple expression.
Spéculations stupides, néanmoins. Car le lendemain, j’entendis les passagers s’agiter aux ponts supérieurs, les portes des cabines claquer et les moteurs battre en arrière ; je m’étais endormi avec Mahler, je me réveillais mozartien. J’étais vivant. Le jour affirmait peu à peu sur la nuit sa suprématie, la terre était en vue. Ce que mes yeux ne savaient pas encore, mes oreilles le savaient déjà car depuis quelques minutes les goélands faisaient cortège, à l’approche des balises portuaires. Plus attentif que jamais aux voix et aux pas, mes autres sens prêtaient concours à mon ouie ; ce que je humais, voyais et ressentais étaient examinés comme autant d’indices convergents d’un imminent dénouement. Puis, la porte du chenil s’ouvrit dans un bruit de serrure brutal et mon geôlier entreprit d’inspecter les cages. Plusieurs de mes voisins avaient uriner ou pire, le dégoût qui se lisait sur la figure de l’homme ajoutait à leur humiliation. Je me félicitai de n’avoir succombé à la protestation de mes viscères en bon petit soldat. Grand-père Bernard serait fier de moi. J’allais le rencontrer pour la première fois, le lendemain, mais au terme du trajet en 4X4 qui m’attendait, parviendrais-je à regagner mon panache, pour le moins compromis après les épreuves de la nuit ? Mam’hum apparut. Ce fut l’aurore.

Je remontais à l’arrière du 4X4, ignorant encore qu’il me faudrait y remonter une bonne dizaine de fois avant d’en descendre une bonne fois pour toute en Lorraine, terre promise. J’imaginais l’autoroute à l’aune des routes corses : sinueux et cahoteux. Cette fois, une bonne surprise m’attendait. Le revêtement, souple et régulier, était propice à l’assoupissement et à la paix digestive. Je décidai sagement de lui confier mes dernières résistances. Je m’endormis comme un bébé, la truffe enfouie dans une chaussette de Pap’hum ; relevant de la métonymie, cette chaussette était la sécurité retrouvée, je reniflai à pleines narines ce concentré de présence, ivre de  torpeur. Par la suite, je ne me réveillai que pour marquer de pissous modestes cette grande île et c’est incontinent que je pris possession du continent. Il y faisait froid. S’arracher à la tiédeur de ma couverture me mettait au supplice, ce dont j’aurais conçu de la mauvaise humeur si tant est que le spectacle oppressant des étranges palmiers qui sortaient ici et là des brumes ne l’eussent déjà fait. Comment s’accommodaient-ils de ce climat ? Mon référentiel méditerranéen vite insuffisant à l’appréhension de toute cette réalité dévoilée, je dus me rendre à l’évidence : ces arbres n’étaient pas palmiers. Etait-ce seulement des arbres ?  Ils avaient la nudité des monstres, des racines en griffes de sorcières,  un air de torture si éloigné des arbousiers de mon maquis, fleurissant et fructifiant toute l’année, impatients à tout donner en même temps, que ceux-là ne pouvaient appartenir au règne végétal. Non, ni minérales, ni végétales, ni animales : ces choses étaient...continentales, hors de mes catégories mentales.
Je reculai sur la pointe des pattes et fis pipi discrètement contre une poubelle, inoffensive.
« Allez hop en voiture », me dit Pap’hum en ouvrant la porte arrière. Si ce « hop » contenait l’antidote à ma haine des transports, sûr que d’un bond leste, je sauterais sur ma couverture sans broncher. Pap’hum et Mam’hum mettent d’ailleurs tout leur coeur à m’y encourager sans lésiner sur les moyens de la persuasion, promesses de récompense à l’appui. Or, quand bien même cette interjection est aussi joyeuse qu’adaptée, elle est bien inutile à créer la volonté durable. La motivation à l’action est un processus bien plus complexe. Tous les patrons le savent : augmenter la ration de croquettes des ouvriers ne les a jamais davantage motivés pas plus qu’une tape dans le dos. Un peu de théorie. La motivation est fonction, petit un, de la valeur symbolique attachée à l’action ( quel symbole positif un chien peut-il voir au transport en voiture ? ), petit deux, de la confiance en ses chances de réussir ( comment entretenir une quelconque estime de soi lorsque vous ne sauriez cacher vos petits embarras gastriques) et petit trois, du bénéfice escompté ( quel gain un animal peut-il tirer du progrès quand tout est dans la nature ? ). CQFD : valeur X confiance X bénéfice = O, la tête à Toto.
Ajoutons à cela que la résistance tient plus souvent du conflit de motivation ( je veux et je ne veux pas ) que de la démotivation à proprement parler. Ce conflit, je l’exprime, à ma manière : je consens à poser mes deux pattes avant sur pare-choc du 4X4, tout en gardant les pattes arrière au sol, simulant là toute la bipolarité de mon désir, à obéir mais aussi à survivre. Et j’attends. J’attends que le gradient des forces qui-poussent-à l’emporte sur celles qui-freinent, comme sur le schéma que Mam’hum dessine à Pap’hum quand il enverrait bien tout promener. Mais le temps presse, 999 kilomètres encore à franchir, j’ai beau me dire que c’est le premier km qui compte, la force qui-freine retient mon arrière-train.  Pour finir chacun par une patte, mes parents hum’ me hissent, grotesque, dans mon habitacle.




mercredi 7 décembre 2011

le journal de Tempo n°10, chronique d'un chien presqu'humain

De J-3 à J+15
Mes cousins ultrasonistes sont arrivés comme prévu. Après une petite faiblesse passagère, causée sans doute par le changement d’air, ils ont sauté sur leurs violons et n’en ont plus guère décollé. Je croyais les enfants accros aux jeux électroniques, eux, le sont aux jeux acoustiques. J’en ai les oreilles qui sifflent ; du RDC au 1er étage, ce n’est que cordes frottées, pizzicatées, et accessoirement cassées. Sister’hum a établi un programme d’entraînement sous la houlette des professeurs de conservatoire à en transformer ces vacances en master class. Et de fait, la maison résonne d’agitatos et d’allegrettos caractéristiques d’un conservatoire. Mais, que conserve-t-on au juste dans un « conservatoire » ? La musique ? Par définition fugitive, comment y parvient-on ? Le talent alors ? Là encore comment fixer un don en train d’éclore ? Je comprends que chez les humains, les arts tout comme la morale a ses institutions. Il en va tout différemment des animaux, seule la belle Nature tient lieu de code inviolable ; le règne ne connaît ni trahison ni perversion ni sanctions. La domesticité introduit cependant un statut intermédiaire, et dans son projet d’unir par l’amitié l’homme et l’animal, son ambition est de démontrer en quoi les deux inséparables ont à apprendre l’un de l’autre. Je me situe par conséquent entre la civilisation et le sauvage, penchant vers l’un tout en tirant vers l’autre. Nulle duplicité là-dedans mais la simple conséquence d’une existence dans l’entre-deux, d’une filiation darwinnienne éminemment transitoire. Dans quelques millions d’année, au contact de l’homme, le chien frisera du cortex tout comme lui, maîtrisera la culture intensive et raisonnée des champs de croquettes, inventera de merveilleuses machines à les calibrer et enverra des bulls-terriers terrasser la lune pour y construire de grands complexes de production de CGM ( croquettes génétiquement modifiées ). Mais brève de croquette-fiction ; revenons à notre train plus terre à terre, point de vue que je saurais quitter, inévitablement couché sur ma carpette. 
Attaché à la laisse, je tiens du mieux que je peux le rôle de public. En application du sage principe de précaution qui veut que toute suspicion de risque riquiqui soit prise très au sérieux  et fort de la consigne « dans le doute, abstiens-toi », on me tient à une distance raisonnable des précieux bois et tout aussi précieuses menottes. Je ne m’en sens pas blessé. En effet, la sensation de l’entrave m’est au contraire agréable, il matérialise un lien de dépendance dans lequel les devoirs de chacun sont clairement rappelés : ma meute famille de me nourrir et me soigner ; moi, de prêter l’oreille à virtuosité. Je balance mon fouet en mesure et réagis à des écarts de 1/8 de ton comme à une morsure, dispositif d’alerte que ne saurait imiter la technologie.

Volontairement, je ne me m’attarde pas sur les baignades et les excursions, qui sont d’un intérêt relatif une fois rappelé que je nage, trotte et cours fort bien. Je développe des moyens de propulsion et de suspension insoupçonnés laissant présumer présence de gênes de kangourous dans ma lignée. Cela dit, les membres antérieurs de ces australiens sont assez ridicules en comparaison de ma musculature palpable. En revanche, je leur concède une légère supériorité en dernière phase de saut, la réception. En effet, sur ce terrain, je ne suis pas très fameux. Sur n’importe quels terrains, d’ailleurs, mais le carrelage ou le plancher ciré me portent un préjudice plus grave. Ainsi, l’atterrissage est encore aléatoire, me manque une souplesse des extenseurs, une évaluation des distances, bref un je-ne-sais-quoi de Cueillette. Je l’ai pourtant observée, pistée, imitée ! Rien à faire, je mords la poussière, m’affale sur le poitrail, mes pattes se dérobant sous moi... Je me console en regardant en DVD comment se ramasse de la même manière l’albatros ; tant de grâce annihilée au dernier moment, c’est poignant.

Tout au contraire, la sortie en kayak est digne du récit.
Matériel requis :
1.    un kayak de bonne qualité. Le garage lui est pratiquement dédié car considérer le kayak comme seul nécessaire à navigation est absolument naïf. Il faut en plus :
2.    un bidon pour ranger les bricoles qui prennent l’eau ( mes croquettes par exemple gonflent à l’humidité et c’est un désastre pour mes petites fonctions ) ;
3.    des pagaies sinon l’embarcation est le jouet du vent et des dangereux courants ; un matériel de pêche à la traîne ( les fonds marins sont le supermarché de l’écolo ) ;
4.    des gilets de sauvetage, des fois que surpris par une tempête, des creux de dix mètres, une voie d’eau, un échouement, les occupants se retrouvent à l’eau, assommés pathétiques, ( imprévisibles sont les avaries, inéluctable le réchauffement de la planète ) ;
5.    des crèmes à bronzer indices 15 pour les avant-bras de Mam’hum, indice 20 pour les cuisses, indice 30 pour les joues et ce qu’il y a de plus tendre, indice 120 pour toute la surface de pap’hum qui en dehors de l’ombre du parasol, rôtit aussi vite qu’un petit cochon de lait
6.    les ouvrages de base du parfait naturaliste – Mais quel est donc ce poisson ?, Mais quel est donc cet oiseau ?, Mais quel est donc cette fleur ?, Mais quelle est donc cette roche ?, Heureusement Mais quel est donc cette baie, cette anse, ce golfe ? existe sous forme avantageuse de carte IGN ;
7.    les instruments optiques d’observation ornithologique sinon la lecture de Mais quel est donc cet oiseau ? tourne à la frustration, du coup Pap’hum accélère la cadence mû par des aspirations sportives fort éloignées du projet inaugural ; du coup Mam’hum, par un sens  aigu du rythme, lui emboîte la pagaie, ardeur payée par d’affreuses ampoules aux mains pourtant protégées par ses gants spécial catamaran acquis lors d’un stage d’initiation ( cata et pas marrant du tout ), et du coup l’après-midi est gâchée
8.    une niche ambulante autrement appelé 4X4 chez les humains ;
9.    une galerie sur le toit, comme on disait au temps glorieux des congés payés et des engorgements sur la N7.
Voilà pour l’équipement. Basique. Fournitures subsidiaires :
1.    une mer – belle, un temps de curé, comme on dit chez les marins, hisse, hisse et ho !
2.    une plage et une mise à l’eau facile d’accès car même si le 4X4 est doté de 4 roues motrices, ce qui est un minimum pour l’appellation contrôlée, parfois pap’hum oublie de changer de boite de vitesse et les roues patinent dans le sable et le moteur s’emballe et je déteste toute cette panique alors qu’on pourrait gentiment frivoliter avec une simple balle de tennis dans l’eau
3.    un public choisi : tout d’abord les vacanciers, qui, en mal de sensationnel, sont à l’affût du moindre événement nautique un peu relevé ( nous trois sur le kayak n’est pas le moins bien apprécié )
4.    mes fidèles : les cousins ultrasonistes, Sister’hum et Richpoupou’hum, son mari. J’ajoute que dans l’affaire, leur rôle n’est pas négligeable. Sister’hum a pour mission d’immortaliser la scène, l’appareil numérique crépite, cliché après cliché, Sister’hum fabrique le reportage de la kayak-sortie ; vite, on sort l’ordinateur de la sacoche, on le met sur les batteries, on lance l’application, les mémoires grincent, les icônes dansent, les raccourcis trouvent leur chemin, le gestionnaire de photos s’ouvre sur le multifenêtrage de mon image et lentement, savamment, ajoute autant de pixels que j’ai de poils sur le dos... Numéroté dans une série, rangé dans un dossier, enfoui au plus  profond de répertoires invisibles, résolu en 1200 ppp, calibré, contrasté, j’apparais enfin, dématérialisé : je m’appelle Img2006-12-R04 202624JPG. Quand à Richpoupou’hum, entraîné au vélo comme le héros des triplettes de Belleville, c’est sur son appui musculaire que mes parents hums compte. Il est illusoire de croire en effet  qu’un chien – même bon nageur – monte de plein gré sur un si frêle esquif, notamment lorsqu’on pourrait gentiment frivoliter avec une balle de tennis dans l’eau et que le chien en question a de la suite dans les idées. C’est mon cas, disons-le sans vergogne. Et comme la triangulation est encore le meilleur dispositif de capture, Richpoupou’hum offre un concours qu’en l’absence duquel, la course-poursuite qui s’ensuit est à se taper le postérieur par terre tellement elle est inefficace pour les uns et distrayante pour l’autre. Même en ces après-midis de chaleur suffocante, rien ne vaut un petit galop, et hop un écart vers la droite et hop vers la gauche pour diversion ! Comme c’est amusant et comme Mam’hum est attendrissante avec son « Si tu viens, tu auras une récompense ! » C’est à pisser de rire, ce dont je ne me gène nullement dans la mesure où depuis peu, j’ai cessé de faire comme les filles, levant la patte du plus haut que je peux - quitte à risquer l’effondrement - sous l’émotion d’une pulsion hormonale délicieuse et irréversible. J’abuse volontiers de cette nouvelle disposition. La moindre roue de voiture, la moindre tige d’asphodéle, le moindre sac de plage est prétexte à manifestation de virilité : heureux, fièvreux, je lève la patte et arrose, si ce n’est généreusement, parcimonieusement un territoire à la mesure de mon esprit de conquête ! Mam’hum observe cette évolution et avec la fierté d’une mère répand la bonne nouvelle autour d’elle à la fréquence où moi, j’y joins le geste. Il peut arriver néanmoins que la situation en devienne embarrassante car uriner sur le tas de sable du voisin est contraire aux règles d’hygiène des humains. Pourtant, à ma connaissance, les humains ne mangent pas de sable, ils mangent parfois la poussière, dit-on. Bref, Richppoupou’hum, grand manager d’hommes, surgit au moment où on l’attend le moins et me ceinture de ses bras. Fait comme un rat, je me dis. La course m’a essoufflé, je tire la langue comme un pauvre hère mais ignorant la crise cardiaque qui me guette, mam’hum m’embarque sous les regards ahuris et amusés des vacanciers pour lesquels nous avons interprété cette comédie grandguignolesque.
5.    Je disais donc un kayak et ses petits accessoires, une mer, deux kayakistes chevronnés, un public à divertir. Et nous voilà partis. Moi, en figure de proue ! Le vent me siffle aux oreilles, retrousse mes babines. Je suis sidéré. De plaisir et de crainte. Qu’on me donne des pagaies et suant entre les hin et des han, je montrerai au monde entier à quelle énergie je vais puiser ! Celle de la mer, la grande bleue, celle de la poussée d’Archimède ! Mais bientôt, la houle me soulève le coeur, mon système vestibulaire décroche, le vertige m’enfonce ; de proue, je voudrais me faire petite cuillère à écoper, m’aplatir sur le plastique et mêler mes sanglots à la vague d’étrave... Mam’hum, alerté par de soudains hoquets, pressent la déconfiture. C’est que de la plage, on nous observe, on nous filme, on commente l’exploit ! Un peu de sang froid me dis-je tandis qu’il cogne à gros bouillons dans mes artères. Inutile. Je vom.. [ la suite de l‘épisode n’est accessible que sur accord parental, son caractère pouvant choquer des esprits sensibles. Note de la rédaction]



mardi 29 novembre 2011

le journal de Tempo n°9, chronique d'un chien presqu'humain

J-6
Le compte à rebours a commencé, Mam’hum en est tout émoustillée. Et que je te frotte par ci et que je t’astique par là. Sans éponge, hélas !, qui sont, depuis le jour où j’en ai déniapé quatre, proscrites à la maison. Autre signe de visite imminente : le congélateur se remplit de sorbets, glaces et granités pour rafraîchir la maisonnée et flatter les palais. J’attends mon sorbet aux croquettes comme le dromadaire mammelouk perdu dans le désert.
J’ai hâte de rencontrer – pour la première fois – mes cousins ultrasonistes dont parle tant Mam’hum, laquelle redouble de coups d’archet tirés-poussés, poussés-tirés pour imprégner les murs d’arpèges de bienvenue.
J’imagine leur arrivée, à l’aéroport d’Ajaccio. Les gens se pressent et se bousculent, se hissent sur la pointe des pieds ; Mam’hum m’ordonne de rester assis en chien très bien élevé, tandis que son corps se balance du pied droit au pied gauche, le cou  tendu vers les visages aimés. Ah ! Les voilà ! Léo porte autour du cou une pochette Air France avec ses papiers d’identité, et arbore l’air fier de ceux qui viennent de loin. Juliette, grande et belle jeune fille, porte sur la foule un œil un peu distant ; l’adolescence a ce privilège de créer du retrait entre soi et les autres sans que ceux-là ne s’en offusquent. Ils se frayent un chemin, main dans la main - au sens figuré, à leur âge on occupe seul son espace vital. Ils se rapprochent, Mam’hum leur fait signe tandis qu’elle se répète la phrase d’accueil qui convient au moment. J’agite mon fouet, signe de joie mêlée d’appréhension. Et si ces enfants n’aimaient pas les chiens ? A l’évocation des saints martyrs que le calendrier des canidés célèbrent dans la clandestinité, un frisson me parcourt l’échine. Vais-je grossir ces rangs d’innocents, victime de maltraitance commise par d’affreux garnements dont la perversion n’aurait d’égale que l’imagination ? Je couche mes oreilles, je n’ai plus un poil de sec. Ils se rapprochent. Mam’hum m’ignore totalement. Pap’hum court devant. Je me sens subitement seul dans cette foule d’humains dont les codes sont impénétables, les enfants, cruels, les parents, indifférents. Oh ! Un chien, la-bas ! Il tourne la tête vers moi. Une chienne ?! Qu’elle est belle ! Une robe lisse bien ondulée, une subite rougeur me monte aux oreilles. Pieds ronds, épaules bien inclinées, cuisses musclées, la golden rétriever de compétition ! D’un coup, je sens toute ma rusticité. Quand m’inscrira-t-on aux cours d’agility ? Je n’ai pas l’intention de rester pataud toute ma vie ! Je tire sur ma laisse. Mam’hum grogne quelque chose qui ressemble à une injonction. Fi de toute aliénation, je tire, tire jusqu’à lui faire décoller les talons de ses tongs, j’affirme l’adulte sexué qui s’éveille en moi. Les enfants sortent de la bousculade, le danger est imminent. Ils ont chacun un étui à violon. Et si c‘était une arme ? Un fusil avec lequel on tire les sangliers au motif de régulation écologique ?! Je crois que je vais faire pipi. Mais ma jolie golden me sourit, si elle veut bien m’épouser, elle s’appellera Tempête et nous aurons ensemble de nombreux Tempopettes. Je contracte ce qu’il faut pour éviter les ennuis. Je réussi à ne pas faire pipi. Et me rassois, avantageux dans ma structure robuste et ramassée. Intérieurement, se mélangent les humeurs : je tombe amoureux. Le cœur chaviré, je respire difficilement. Enfin, mes tortionnaires sont à hauteur de crocs. J’hésite entre l’attitude préventive– une bonne morsure à la cheville dont ils se souviendront toute leur vie – et l’attaque défensive – une bonne morsure dont ils se souviendront toute leur vie. Certes, le résultat serait le même, me direz-vous. Erreur ! Adoptons le point de vue du chien. Sachant que la légitime défense n’est pas punie autant qu’un crime prémédité, un jury me relaxerait illico et convaincu de mon innocence mon avocat obtiendrait bien 10 sacs de croquettes de dommages et intérêts. A-t-on idée de menacer un chiot d’une carabine déguisée en violon ? Tandis que je réunis tout mon courage pour les affronter, Juliette se penche vers moi.
-       Salu Temp’  Elle parle en texto.
-       Hello, Jul’ je lui réponds.
Concis et pertinent. Je n’aime pas les bavards. Léo m’observe, circonspect. Il tenterait volontiers une caresse mais ne sait que penser de ma dentition complète, luisante de salive. J’aboie une fois. Il fait un pas en arrière, affolé. Je rigole. Pas longtemps, Mam’hum me tance vertement. C’était pour rire, dis-je à Léo, télépathiquement. Nouvelle tentative de Léo. Cette fois, je m’abstiens, je le regarde droit dans les yeux, en égal ; après tout, nous avons à peu près le même âge ( après conversion ). Nouveau rappel à l’ordre de Mam’hum, je fixe penaud les pieds de mon ancien égal, stupeurs et tremblements, je ne suis qu’un petit machin de chien, Tous les humains sont tes maîtres, dit notre premier commandement que me rappelle mon surmoi.
  1. Tous les humains sont tes maîtres
  2. Tu obéiras à tes Mam’hum et Pap’hum au doigt et à l’œil
  3. Tu feras leurs quatre volontés sans rouspéter
  4. Tu ne croqueras point de mollets, même grassouillets
  5. Tu ne voleras point, même un jambon entier
  6. Tu feras tes besoins ailleurs qu’au beau milieu de la chambre à coucher
  7. Tu te garderas de lécher les assiettes dans le lave-vaisselle
  8.  Tu ne convoiteras point les croquettes du voisin
  9. Tu ne sauteras point sur les fauteuils, canapés et lits même en te faisant tout petit histoire de ne pas te faire remarquer : les humains ne sont pas idiots, mets-toi bien ça dans le crâne
  10. Tu développeras une expression amicale de confiance transmise par un regard gentil et curieux, un équilibre des membres antérieurs et postérieurs, des oreilles de taille raisonnable attachées à peu près à la hauteur des yeux. ( Sinon tu ne plairas jamais à ta golden, petit commentaire éxégétique que j’ajoute ici pour une meilleure compréhension des jeunes adolescents qui nous entourent )

Tous les soirs, je fais mon examen de conscience, comme me l’a enseigné Mam’hum qui me donne des leçons de catéchisme aussi. En effet, ne va pas au paradis des chiens qui veut. Imaginer l’enfer où les pittbulls pullulent suffirait d’ailleurs à me remettre dans le droit chemin, si tant est que l’amour désintéressé que je voue à mes maîtres ne suffise à assurer mon salut. Mais ne préjugeons pas hâtivement ma sainteté !
Je regarde pour l’heure notre grande Juliette, avec ses longs cheveux qui n’est pas sans rapport avec les poils longs et bouclés de ma fiancée, laquelle remue ses petites oreilles que je mordillerais bien volontiers. Comment une parade amoureuse pourrait-elle exister sans ce remuement d’oreille si charmant ? Je me fais fort en 3 semaines d’apprendre à Juliette à optimiser de la sorte ses appas.
Nous attendons à présent les bagages. Pendant ce temps-là, Pap’hum sert la pogne à Monsieur Machin, Madame Trucmuche, tout insulaire avec le port ayant à faire. J’observe le manège en essayant de deviner les alliances et les pressions en présence ; Pap’hum prend son air de diplomatie que je lui connais dès qu’il parle de la CCI. Je me tiens coi. Je suis sensible à l’image sociale de ma meute famille. L’honneur de mon Pap’hum est en jeu. Je prends moi aussi ma moue de la CCI : regard droit, oreilles dressées, babines un tantinet retroussées, truffe dilatée : c’est à ce prix que Pap’hum se fait respecter.
-       Je vous présente Tempo, dit-il de temps en temps à l’interlocuteur cinéphile ( canéphile ? canidéphile ? Comment dit-on déjà ? )
-       Ouaaah, dis-je pour « Enchanté », hypocrite.
-       Il est beau ce chien ! de quelle race est-il ?
Hypocrite ?! Pas du tout ! Je suis irrémédiablement beau, que voulez-vous !
-       C’est un batard…
-       Ouaahh ! Je proteste. Ai-je mérité insulte plus injuste ? Feu Sammie, mon grand-père spirituel, se retourne dans sa tombe.
-       Il est sans doute croisé labrador et berger allemand, a décrété mon vétérinaire traitant.
-       un peu de husky peut-être ? s’enquit l’interlocuteur, l’air connaisseur.
-       ….
Mon maître, pris de court, cherche le traîneau.
-       Il a la silhouette du lévrier, c’est net ! conclut l’interlocuteur, l’air supérieur.
C’est à croire que chacun projette sur moi son fidèle idéal.Je détourne la tête à celui qui se la pête. Et pourquoi pas bichon tant qu’on y est ??? Ggggrrrrr…Je lui présente mes fesses.
Enfin, les valises arrivent à notre hauteur sur le tapis roulant. Combien ces enfants ont-ils de maillots de bain ? C’est inimaginable.
Puis nous sortons de l’aéroport, je perds des yeux ma dulcinée. Ne me quitte pas, j’aboie des trémolos[1] dans la voix.
Quand on arrivera à la maison, je poserai à leur pied un joujou en peau de bœuf séché ; c’est que comme mes maîtres, j’ai le sens de l’ospitalité.



Plus tard
Mam’hum a décidé de changer de vétérinaire. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Mais laissez-moi vous compter notre aventure. Alors que, motivé par le sage principe de précaution, Pap’hum scrutait la belle apparence de ma truffe, le doute s’insinua. La brochure explicative de la leishmaniose donne pour premier symptôme de cette maladie mortellement terrible une truffe dépoilée. Mam’hum examina à son tour mon appendice et moi tel le Cyrano de Virbac[2] , je me récitai in petto la grande tirade pour passer le temps et ne pas hurler de rire à tous ces chatouillis. Puis tout se passa très vite. Mam’hum saisit la laisse. Je courus m’aplatir sur mon tapis, dans un réflexe de mimétisme digne du lézard vert à machoires autobloquantes – je ne suis pas vert, certes mais mes machoires… Pap’hum mit son portefeuille dans sa poche, ma santé ayant sa version somptuaire. Mam’hum récupéra mon carnet de santé dans un fatras de papier. Elle me dit « assis ». Et comme elle avait l’air tout contrarié eu égard au grand danger, je me fis très gentil. Je montai dans le 4X4 et me couchai pour une fois sans simagrées. Je les écoutai se rassurer mutuellement.
-       On a pourtant changé de coller anti-moustiques au 1er juillet
-       On ne le laisse pas tellement déambulé à la nuit tombée
-       Tu as été piqué par des moustiques toi ?
-       Avec les baygons et les spirales, seul un moustique mélancolique viendrait par ici mettre à éxécution son projet suicidaire !
-       Tu as vu sur le Loupéd’lou[3] d’autres signes ?
-       Je me demande s’il n’a pas une escarre à la patte avant, c’est un symptôme convergent…
La leishmaniose est une maladie qui frappe le pourtour méditérranéen sans distinction de milieu et de race.Et mon cœur se serre à l’idée que mes parents hum’ feraient n’importe quoi pour ma longévité. Mais je peux me défendre seul ! Je possède l’arme fatale : le collier Scalibor, mon Excalibur arthurienne. Son aura est telle que moustiques, moucherons, phlébotomes, et autres mouches du coche ne s’approchent à moins de 10 mètres. Ce qui me fait deux colliers. L’un porte mes médailles – j’insiste : je suis médaillé de l’ordre des Tempoliers, confrérie ayant survécu au terrible vendredi 13 d’extermination des courageux chevaliers grâce au fidèle compagnon de Jacques de Mollet[4]; mais vous comprendrez que je ne puisse en dire davantage, même si notre époque de Da Vinci mode invite à des déclarations aussi inattendues que croustillantes. Sur une médaille est inscrit sobrement Tempo. Au dos de cette allégation on ne peut plus vraie est inscrit le numéro de téléphone mobile de Mam’hum et le nom de notre meute famille que je ne peux prononcer ici sans l’écorcher et faire de tort ipso facto à notre ancêtre le Général napoléonien. Aurais-je un jour moi aussi ma statue de fonte érigée sur un socle de marbre au bas d’Alata ? Manque en Corse une Algérie qu’il me faudrait envahir, en revanche pour le napoléon, j’ai ce qu’il faut ici. Mais revenons à mes médailles. Je porte en outre une médaille Virbac attestant que je suis dotée d’une puce électronique infradermique, qu’un jour de mauvaise humeur ma vétérinaire traitant m’a enfoncé en serrant les dents avec une énorme aiguille. Je ne l’ai pas oublié. Je ne l’oublierai jamais. Aussi, la semaine dernière lorsque celle-là même, la perverse, me voulut examiner ma truffe, j’ai fait un peu le zouave. Elle voulait me museler ?! M’interdire de bouger ?! Me tripoter le museau ?! Et puis quoi encore ? On verrait bien qui des deux aurait le dernier croc ! S’ensuivit un corps à corps assez désordonné où la véto s’est vite montrée dépassée tandis que Mam’hum et Pap’hum essayaient mollement de me calmer. Il est vrai que personne ne savait au juste qui elle comptait étrangler avec cette ficelle qu’elle tenait à deux mains. Faut me comprendre ! Qu’auriez-vous fait si un chien gros trois fois comme vous essayait de vous faire un nœud autour du cou ?! Vous vous seriez débattu, pardi. Je n’ai rien fait de plus, à peine grogné à la manière d’un bébé, entre deux rots. D’un coup, la véto de plus en plus en rogne, gueule :
-       Il ne pèse que 16 Kgs et vous ne pouvez pas le tenir mieux que ça !!!!
Pap et Mam’hum se regardent interloqués et du coup desserrent leur étreinte parentale. La voilà à présent qui se jette sur moi et me soulève comme elle le ferait d’un mouton prêt au meschoui pour me déposer sur la table d’opération. De surprise, je ne pipe aboiement. Elle me choppe au collet, rouge de colère  :
-       maintenant tu arrêtes ! t’as compris ! je te fais même pas mal ! alors ! Tu bouges pas, t’as compris ?
Et me flanque une bonne gifle. J’ai compris. Depuis, nous avons décidé de « changer de crémerie » comme dirait Grand-mère Loulou.
Rien que le nom de ma grand-mère Loulou m’est sympathique. Il me plaît de penser qu’elle vient de Poméranie, pays que j’imagine à la steppe glacée, aux rivières gelées, au vent pénétrant. Elle possède des peuplades du grand Nord les pommettes hautes et les yeux bridés ; quand elle sourit, les rides en cachent la couleur comme un rideau de théâtre se ferme sur la scène. Elle n’a jamais eu de chien si bien qu’elle donne parfois des conseils à Mam’hum hors de tout bon sens. En revanche, elle a eu une brebis qu’elle nourrissait au biberon pendant la guerre, puis qu’elle a fait rôtir à l’oignon, après la guerre. Plus tard, elle a permis à ses deux filles, Mam’hum et Sister’hum, d’avoir un chaton qui fut appelé… Moustique. ( deux indésirables en un, en fin de compte ) Le Moustique en question fut rapidement surnommé Moumoune, Mam’hum ayant un sens inné de l’apocope. Ensuite, Loulou, toujours dans de joyeuses dispositions animalières offrit à ses sauterelles des cochons d’Inde, lesquels furent relégués vite fait au garage eu égard aux saletés qu’ils dégageaient. Ils moururent peu après d’indifférence et de froid, leur cage posée sur le congélo. Puis vint le tour du hamster. Celui-là fit une peur bleue à Sister’hum qui le trouva un jour défiguré par des abcès des deux côtés. On lui expliqua, le Larousse en 20 volumes  à l’appui, que le rongeur utilisait ses bajoues comme d’un garde-manger. ( Ce qui me donne une idée… ) Pour finir, Loulou et GPB eurent une tortue. On lui sema du trèfle dans le jardin. On lui construisit un enclos. On lui installa une litière pour l’hiver… Mais la chochotte n’a pas survécu à l’hibernation. GPB l’enterra dans le potager, projetant d’aller le temps venu exhumer la carapace pour l’exposer dans une vitrine, une fois cirée. La sagesse venant avec l’âge, GPB a aujourd’hui mesuré l’ignominie de ce projet et laisse Joséphine reposer en paix, entière. Une telle reconstitution des attachements animaux de sa meute famille est utile pour savoir où l’on met les pattes et s’il est raisonnable de lui confier sa vie. En ce qui me concerne je ne la confie pas à Mam’hum, je la lui voue. J’aime ma Mam’hum plus que tout.


J-5
Je ne dors plus, je mange du bout des dents. Tempête me manque comme à un estomac ses croquettes. Désenchanté, je regarde Cueillette grimper aux arbres, ce qui d’ordinaire est un puissant stimulant. Là, rien. Je reste sur mon derrière, le cœur en écharpe. Mam’hum me dit que je l’ai rêvée, cette beauté.Cela me rasserène. En effet, argumente-t-elle, nous sommes à J-5, nous ne sommes pas encore allés chercher Léo et Juliette à l’aéroport. Je l’ai seulement imaginé. Chaque jour qui passe me rapproche un peu plus de ma Tempête, alors ?


[1] Sorte de petit cliquetis guttural semblable à celui que produit la brisure d’os broyé.
[2] Virbac est la gamme de produit alimentaire avec laquelle je suis nourri. Pour vous donner une idée juste du train sur lequel je vis, imaginez les croquettes de chez Fauchon.
[3] Variation (  pas très maligne ) en métathèses de Poulélou, un de mes nombreux surnoms…
[4] Certains l’écrivent Jacques de Mollay mais c’est une affaire de goût.