La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

lundi 26 septembre 2011

Le journal de Tempo n°3, chronique d'un chien presqu'humain

22 juin 2006
Je ne sais pas si l’anniversaire de Léo y est pour quelque chose mais je sens insidieusement que je muris, moi aussi. A trois fois rien, une impression de plus grande lucidité sur la vie. Je sens que je deviens. Sans complément. Le processus est troublant, à peine observable et pourtant. Je ne suis plus le même qu’hier, qu’il y a une heure, une minute. En fait je ne cesse de devenir ce que je suis. Certes, ma race est impure, je n’ai pas de pédigrée, je suis un bébé trouvé, mes origines sont incertaines. Deux rumeurs courent à ce sujet. La première met en cause une personnalité, le directeur de l’hypermarché Géant, lequel serait coutumier d’abandonner des portées de chiots, le ventre vide, comble de l’ironie. Mais la justice a fini par frapper : cet odieux personnage est à la rue, lui aussi, sa villa ayant été plastiquée. Y aurait-il là un lien avec son attitude ignoble? Nous pouvons le supposer, le FLNC – front de libération national des chiens – n’y va pas d’ordinaire par quatre chemins. Mais revenons à mes débuts dans la vie. Mélodramatiques, non ? Je m’imagine errant désespéré dans le rayon de charcuterie, nargué par les saucisses sous vide, moqué des jambons sous cellophane, épouvanté à l’idée de passer mon existence dans ce temple de l’agroalimentaire, torturé par les beautés du conditionnement. L’autre scénario maintenant. Seule, ma mère, jeune parturiente, emmitoufflée dans des couvertures de déménagement, ses petits et elle, installés précaires dans le parking souterrain de l’hypermarché…Géant, encore. Les petits pleurent, la maman chien pleure et les enfants nous approchant supplient leurs parents de nous soustraire à cet épouvantable cloaque, foyer de corruption morale. Les parents, sans cœur et sans pitié, refusent arguant qu’un animal abandonné est en piteux état – «  regarde ses yeux larmoyants, il se gratte, il a des puces, etc. » - et voué inévitablement à une mort prochaine… J’en frémis.
Mais ce ne sont là que rumeurs, non avérées, dieu merci. Cependant, elles s’accordent sur bien des points : le caractère tragique de ma prime enfance, l’adversité ambiante et la participation du Géant.  Plus qu’une coïncidence, j’y vois là un signe favorable du destin sous les traits d’un géant, en bon génie veillant sur moi, l’équivalent des bonnes fées dans les contes et des marraines dans la vie des humains. Oh, mon bon géant, quand m’apparaitras-tu ? me dis-je le soir en me couchant. Sous quels déguisements ? sous l’aspect d’un crapeau repoussant ? d’un hérisson hérissé ? d’une croquette empoisonnée  ( les bons génies et autres créatures magiques entrent toujours contact avec leurs protégés, sous des aspects peu engageants pour tester leur cœur pur) Une fois, j’ai bien cru que ça y était. Je voulais écrire dans mon journal : le Géant existe, je l’ai rencontré ! Il, ou elle plus exactement, remontait un sentier du talus sous un soleil de plomb, la langue pendante. Je n’avais jamais vu chose plus effrayante. Chic. Je me dis aussitôt : « Mais c’est bien sûr, c’est mon bon génie, sous des traits peu engagéants !! »Trop de perspicacité tue la perspicacité dit-on dans pareil cas. J’aboyai. Maman humaine se leva, toujours prête, réactive et d’attaque et montra du doigt la chose en criant : oh une tortue !!! Mon rêve s’effondra. Et pour cacher ma peine, sous des dehors très sûr de moi, je courus en direction de mon faux génie ( je dénonce en passant l’usurpation ), bien décidé à lui faire remarquer que là, précisément, sur ce talus, elle se trouvait sur MON territoire, non mais des fois !. Maman humaine, qui n’entend rien aux prémisses des grandes invasions, se rua sur moi. Il s’ensuivit une mêlée rugbydesque, d’où je sortis un peu groggy. Il s’ensuivit une négociation entre maman humaine et papa non moins humain qui refusa tout net d’adopter la chose en dépit des suppliques de sa moitié. A l’évocation de carrés de trèfles – équivalent herbeux des croquettes - que maman humaine promettait de cultiver, la tortue, élévée provisoirement sur la table, faillit tomber. Papa humain repartit travailler. Je regagnai la buanderie. Maman humaine retourna à son violon, une longue plainte impuissante en sortit. La tortue fut réléguée dans la véranda ; à l’abri des prédateurs – au rang desquels Moi et Cueillette la Sauvage figurâmes tout l’après-midi. Le soir, les voisins nous débarrassèrent définitivement de l’intruse, à la faveur de l’anniversaire de la cadette, trois ans. En effet, maman humaine dont le sens pratique n’a d’égal que la charité, la refila à l’enfant, enrubannée, emballée dans un papier cadeau. De tortue anonyme errante elle gravit peu à peu les degrés de la personnalisation : elle fut baptisée Charlotte, obtint son carré de tréfle charnus ( CTC pour les locaux ) et le droit insigne de dormir sur le paillasson. Nos rapports se sont depuis franchement apaisées. Mais, une chose que m’a apprise GPB ( Grand-Père Bernard ) : nous ne sommes jamais à l’abri de l’envahisseur. Aussi Cueillette et moi tenons à tour de rôle le poste avancé de sentinelle, garde à vous au portail, prêts à mourir pour nos frontières. Charlotte, elle, entraînée comme troupe d’élite, observe… Son œil vous suit, à peine mobile, sous le casque de camouflage…

23 juin
De nouvelles questions existentielles se présentent à mon esprit, relatives aux rapports humains. Comment communiquer ? Maman humaine, elle, parle, chante, gronde, rouspète, soupire, crie, murmure, roucoule, autant de bruits de gorge qui me sont interdits, autant de variations humoresques inconnues. Lorsque, par exemple, maman humaine me chante cette berceuse : poupoulélou, poupoulélou, poupoulélouléloulélou, poupoulélou, poupoulélou, etc. comment ne pas souhaiter répondre sur le même registre, où comme on le voit, les mots importent peu, transcendés par l’émotion pure ! Oh je vous vois déjà sourire : sachez pourtant que sous d’apparentes puérilités, sous le travestissement d’une sotte rengaine, quelque chose se trame, se tisse et se resserre entre l’homme et la bête.
Il ya dans le bureau de maman humaine la photo de Sammy, un aïeul par adoption. Il pose assis, le poil frisoté et bien brossé. Il me tient lieu d’ancêtre. Malheureusement je ne connais aucun détail de sa vie ; en revanche sa fin est restée gravée dans les mémoires. Sentant l’heure ultime approcher,  feu Tonton Sammy est allé au pied de son maître qui lisait dans un fauteuil, l’a regardé longuement, a mis sa tête sur son genou, a soupiré puis s’est couché à jamais. Ce fut sa dernière volonté. Emouvante. Ce chien savait communiquer.
Maman humaine et moi échangeons de longs regards parfois. Certains chiens ne supportent pas l’intrusion et se mettent à aboyer. Moi, je m’emploie à deviner au sein de notre silence, quelle transmisson secrète s’opère, d’elle à moi et de moi à elle. Je le confesse aussi, j’espère toujours un peu que tant d’obéissance soit évidemment récompensée, en croquettes sonnantes et trébuchantes.

24 juin
Je suis tourmenté. Qu’est-ce qu’un chien bien dressé ? C’est un chien qui ne monte pas sur le lit, qui ne mord pas, qui ne vole pas, qui ne traine pas sous la table, qui ne creuse pas de trous dans le jardin, qui ne menace personne, qui ne se sauve pas, etc. Autrement dit, quand je suis tranquille dans mon panier, je suis bien dressé !  Comment une existence – la mienne - peut-elle s’actualiser dans cette vacuité ? Je veux être dressé à quelque chose moi !!! Sauter à travers un cercle de feu, avaler des sabres, me contorsionner, galoper sur le dos d’un cheval, faire des numéros, des tours de piste, quoi !
Maman humaine m’apprend à rester derrière elle quand elle ouvre la porte. C’est assommant. Toute cette discipline, c’est si contraire à mon tempérament, impétueux et primesautier. La plupart du temps, je me précipite, poussant la porte brutalement, bousculant les uns les autres sans ménagement, dégringolant les escaliers, glissant sur le tapis à l’arrivée. Ca fait brouillon. C’est même dangereux, me dit-elle, au motif qu’une paire de fois, je me suis tordue la patte ( rien que du chiquet, rassurez-vous ). Mais je ne suis pas en sucre, ai-je beau lui dire. Si Cueillette me précède, c’est encore pire. Je la talonne de si près, prenant en chasse de même ce qu’elle poursuit, qu’à notre approche,  tout le monde déguerpit, de peur d’être emporté. Complices dans les cavalcades, solidaires dans le statut, nous défendons une certaine idée de la liberté.
Maman humaine m’apprend également à me figer, en statue de sel. Je connais déjà « assis » et j’y réponds de mon mieux, le buste droit, la truffe fière – cette allitération en f chuintante traduit bien l’impression de noblesse accomplie. « Assis » versus  statue de sel  est en fait une variante du « assis » basique. Là, il s’agit toujours de s’asseoir bien entendu mais dans des conditions extrêmes, dégradés si je puis dire. Elle attend sciemment que je caracole, vibrionne et autre activité sans but pour claironner « Tempo, assis ! ». Et me voilà pétrifié sans raison tandis que roule le ballon. Et comme la difficulté va croissante, c’est « Tempo, assis » quand j’ai la vaisselle sale sous le nez ! Ou encore « Tempo, assis », la patée qui vient d’arriver ; « Tempo, assis », et Tempo optempère… Autre cruauté de l’éducation. On me demande de ne « pas bouger » alors que tout le monde s’agite autour de moi : les voitures, qui déboulent ; les vélos, qui me dépassent ; les enfants qui sautillent. L’apprentissage n’est rien sans considérer le contexte, vous l’avez compris. Face à cela, les sujets sont dépendantS ou indépendants du champ, dit-on en psychologie. Je suis dépendant, c’est vrai. « Pas bouger », étendu sur un coussin, les pattes en totosse, serait par trop facile : on me teste, on me tente, on me met à l’épreuve, on me provoque, on me pousse à la faute, n’ayons pas peur des mots. Mais que ne ferais-je point pour croquettes mériter ? comme dirait Muselière, notre Molière à nous.
Parfois je m’insurge. Les méthodes sont douteuses, l’éthique approximative. Je m’explique. D’ordinaire, une balle, un cherchée, deux ramassée, trois rapportée, quatre lachée dans la main de maman humaine, le tout accompagné d’un petit salut de mon invention – je vous ferai un jour cette démonstration charmante – vaut une croquette. C’est la règle. C’est la loi, zut. De bonne grâce, je rapporte un nombre incalculable de balles de tennis, ambitionnant Wimbledon. Or, parfois, sans motif, au lieu de m’adresser la croquette promise, maman simule le geste tandis que la main est vide. Et croquette, ceinture… Me prendrait-on pour un idiot ? Je le dis tout net : ceci est une escroquetterie !

26 juin
La décision est prise : maman humaine rachète un archet ! Fini les crins qui crachotent, chichitent et craquent. La musique, rien que la musique, à peine matérialisée. Le luthier s’est mis en chasse et a d’ores et déjà deux « instruments » en vue : une, ancienne, en restauration et l’autre de fabrication contemporaine, par un archetier de renom. Je dis bien « instrument » soulignant par là le véritable statut de la baguette, son rôle actif et expressif, au contraire du violon, qui n’est en fait que le support, sans volonté. Dans cette logique, les violonistes devraient s’appeler archetistes, rétablissant la juste vérité. Je compte proposer cette trouvaille sémantique à mes cousins ultrasonistes. Maman humaine est déjà au courant ; c’est à croire qu’elle lit dans mes pensées. Sinon, elle lit de la musique, de la musique, encore de la musique. Quatre heures par jour : du Sevcik – prononcer sevchik , du mazas – prononcer matzzzas - , du Schradiek – prononcer Schchchcrrradieyec -  : plus le nom est difficile à dire, plus les crins s’usent. Mes nerfs aussi, des fois.

mardi 20 septembre 2011

Le journal de Tempo n°2, chronique d'un chien presqu'humain

15 juin
Grande nouvelle : deux brillants ultrasonistes ont confirmé leur venue en aôut prochain. Ils viennent du continent et entretiennent un lien familial étroit avec ma maman humaine. Il est également beaucoup question de musique entre eux puisqu’ils partagent cette quête ( que je ne saurais que trop encourager ) de l’ultrason parfait. Moi-même je présente de grandes dispositions à l’accompagnement rythmique « au fouet » ( autre nom, plus élégant désignant la queue d’un animal ) ; je pense donc soumettre ma candidature au trio lors de notre rencontre. J’ajoute que j’ai pour ascendant direct, un célébre labrador distingué par Paté Marconi et immortalisé comme « la voix de son maître ». Je tiens de mon cher aïeul d’étonnantes capacités d’expression vocale qui ne demandent qu’à s’affirmer.

Le lendemain
Je reviens de la plage. Je nage de mieux en mieux. Toujours très encouragé par les applaudissements de ma maman humaine, je progresse. Ensuite je me suis roulé dans le sable, sous le regard envieux de gens en maillots, ai fouiné dans le sable à la recherche de trésors olfactifs, sous le regard jaloux d’enfants tout nus. J’ai beaucoup de succès sur la plage. Auprès des membres de mon espèce comme auprès des très nombreuses familles d’accueil qui viennent en vacances ici, bien souvent sans chiens, j’ai remarqué. Ont-ils été abandonnés pour les vacances par des chiens sans cœur et sans scrupules ? J’en ai bien peur… C’est pourquoi je me montre agréable et poli lorsqu’on me sollicite. Je réponds en agitant mon fouet, en vrai toutou modèle. Maman et papa humains, en vrais maîtres modèles, me suivent des yeux, attendris, étonnés de tant d’autonomie. Une fois seulement, j’ai fait l’idiot : j’ai traversé en courant un restaurant, bousculant serveurs et chaises, caracolant entre les tables, papa humain sur les talons, maman humaine les bras au ciel… Quelle rigolade !

Un autre jour,
Aujourd’hui, je me suis horriblement ennuyé. Tout le monde était parti travailler. Alors, malgré les 35 degrés à l’ombre, j’ai entrepris de vérifier le système d’arrosage hyper sophistiqué du jardin : 4 programmateurs, quatre réseaux – deux desservant 7 asperseurs, deux autres courant dans les talus du jardin. Au total, il y a bien 100 mètres de tuyaux et au bas mot 50 goutteurs et au bout des goutteurs… des tubulures, l’équivalent de pailles pour boire un jus de fruit. Je les ai toutes testées. Il faut d’abord les détecter – elles sont souvent mi-enterrées ou maintenues par des peirres – il faut donc les mettre à jour en grattant tout autour puis il faut délicatement tirer à leur extrêmité pour les dégager de la connexion au tuyau principal. C’est fastidieux quoique exaltant. Le vrai travail commence ici ; il consiste essentiellement à mordiller. Bien sûr, sans expérience ni référence aucune, les humains s’imaginent que mordiller est seulement mordiller. Ils se trompent. L’action suggère au contraire tout un éventail de tripotage, de chiffonnage et de masticage qui trouve sa résolution dans la perforation, la déformation, ou l’abandon. C’est ouvert à cette alternative, sans préjugé ni idée préconçue qu’en ouvrier consciencieux, je suis resté connecté au réseau. En grammaire, on distingue les actions-points des actions-lignes ; mordiller, vous l’avez compris, appartient à cette seconde catégorie, et m’a pris tout l’après-midi.
On dit que je suis brisac. En 24 heures – aujourd’hui donc -  ma maman humaine a percé une canalisation d’eau d’un coup de hâche énergique, enfoncé le pare-choc du 4X4 d’un vif coup de volant, démantibulé le portail d’entrée du même vif coup de volant. On vient ensuite me reprocher de suçoter paisiblement des bouts de tuyaux ?! ( alors qu’on les laisse traîner par terre…) Franchement !

21 juin
Considérons la date comme mon anniversaire. Je crois que j’ai 5 mois. Je rêve d’une énorme croquette fourrée surmontée de 5 bougies… C’est aussi la fête des ultrasons, c’est donc un peu ma fête aussi.

22 juin
Léo, le plus jeune des ultrasonistes de la meute famille fête aujourd’hui son anniversaire. Il rêve d’une énorme croquette fourrée surmontée de 11 bougies.

23 juin
De qui est-ce l’anniversaire ? Rêvons ensemble d’une énorme croquette fourrée surmontée de… Au diable les bougies, concentrons-nous sur la croquette.

21 juin
Revenons à la date d’aujourd’hui – mon anniversaire, ma croquette - ce saut dans le temps n’étant que fictif, commandé par des instincts festifs.
Il fait une chaleur accablante, j’ai le cerveau ramolli et les pattes en shamallows. Je me traîne. De la buanderie où j’ai mes quartiers, à la cuisine où j’ai parfois mes quartiers en passant par le salon où j’ai exceptionnellement mes quartiers. Je vais, je viens, langue pendante, oreilles toutefois dressées, question de dignité. Je bois beaucoup et suivant l’adage « qui a bu aboiera », j’abois pas mal. Non pas de cet aboiement assommant de chiens délaissés en laisse, non, non. J’abois de façon engageante et décontractée. Un rien me stimule, le moindre incident relève de suite la mornitude. Pensez à Dino Buzzati – le désert du tartare – et vous aurez une idée assez juste de ma désolation. Un lézard, une ombre rare, une cloche au loin, et me voilà à en informer tout le voisinage – le plus souvent, il s’agit d’une portière de voiture, de la sirène des pompiers, d’un juron du voisin mais ne nous arrêtons pas à cela. Encore une fois j’ai les tympans sensibles et l’ambition du chien de garde. J’ai donc commencé à m’exercer, devant les placards, il faut un début à tout ; depuis, papa humain m’a décerné le titre de « chien de garde manger ». Je suis content, confirmé dans mes aspirations.
J’évoquais donc mes déplacements et les restrictions – injustes - qui les accompagnent. Avant toute chose rappelons que je descends du loup et que cet héritage me confère un certain nombre d’avantages…incisifs – si j’en juge ma dentition en comparaison de la denture des humains. ( oui, j’ai bien dit dentition pour l’animal, denture pour les humains, vous n’avez qu’à vérifier dans le dictionnaire ). Donc, le chien ou lupus sapiens sapiens, a encore tout du prédateur des origines : la puissance, la rapidité, la ruse, l’ingéniosité et j’en passe et prérogative non négligeable, une meute famille pour le servir.   Non, me dit ma maman humaine… « Assez raconté d’idioties » dixit. Mais laissons la poursuivre.
-       Tempoupou tu exagères !
-       Ouah, ouha, ououou
-       Qui c’est qui commande ici ? Lâche ce torchon ! donne.  Allez donne. Donne, j’ai dit, nom d’une pipe. DONNE ! DOOONNNNE !!!  Hein qui c’est qui  commande, nom d’un chien !…
-       Ggggrrrrhhhh !!!!!!!
-       enfin nom d’une pipe, oh ça va, mauvais caractère !!! parfaitement, c’est moi qui commande !  Donc, couché, allez, allez, allez, couché j’ai dit…. Voilà, c’est un bon chien, ça. Oh mais ça mérite une croquette, ça ! oh le gentil chien tout petit minuscule, tout petit tout doux à sa maman humaine….
-       Ouah, ouh
-       Hein mon poulélou tout beau ! hein mon mon tempounet joli
-       arrhhh.. bbbbrrrrr… waf, waf niaf…
-       pas de mordillou Tempo, gentil petit Tempo… voilà ,c’est bien, c’est très bien, ouhhhh
-       waffff
etc.

Bien, je disais que je descendais tout droit du lupus sapiens sapiens. Maman humaine a raison en m’appellant PouléLOUP. En revanche, poulet ?!!
Les humains, eux, descendent du singe. Or, les loups mangent les singes, donc les chiens mangent les humains…euh… j’ai dû m’embrouiller quelque part. Disons que dans la mesure où je suis supposé posséder un fort potentiel d’agressivité animale, cela suffit à me faire respecter. Aussi, je fais dans la sobriété. Comme la peinture chinoise, à peine suggéré, évoqué tout au plus, je grogne, pratiquement in petto. Plus que tout autre manifestation tapageuse, l’effet est radical : maman humaine et papa humain blémissent, échangent regards inquiets et remarques à voix basse et s’en vont compulser frénétiquement « Eduquer, réeduquer votre chien » à la recherche de la sanction la plus adaptée. Trop perturberait « le meilleur ami de l’homme », trop peu flipperait « le compagnon à 4 pattes ».
« Votre compagnon grogne, attention ceci est un signe de rébellion patent : resaisissez-vous, ignorez-le, punissez-le de votre indifférence, c’est le moment ou jamais de reconquérir votre pouvoir sur lui ; ne le regardez jamais dans les yeux, cela équivaudrait à le défier mais regardez son postérieur » Depuis, mes maîtres toisent mon derrière.

Un jour, on m’a amené, Tempo le terrrrrible, chez le vétérinaire pour  une « visite de comportement ». Mes maîtres voulaient l’avis du spécialiste. Bilan : je ne suis ni asociable, ni dyssocial, ni hyperactif, ni hypersensible, ne souffrant d’aucun fantasme d’abandon, de séparation et inapte à la relation fusionnelle. Je suis un chien grognon. Depuis, j’ai perdu de mon ascendant, suis moins dissuasif

lundi 12 septembre 2011

Le journal de Tempo n°1


 
Avant
Le 20 mars très exactement, jour du printemps, j’ai été adopté par ma « meute-famille » d’accueil. J’avais deux mois à peine, cette précision étant été donnée par la suite par mon vétérinaire traitant. Je ne peux en effet me prononcer avec certitude sur la question, mes souvenirs de prime enfance s’estompant peu à peu. Seule l’image de mon frère me reste en mémoire, compagnon de jeu de courte durée. Il m’empêchait de manger, cela en revanche ne peut s’oublier.
Ce jour là, alors que je réfléchissais à un destin incertain, me sont apparus deux humains surgis d’un énorme 4X4 – je reviendrai sur cette espèce qui ne m’inspire pas une grande confiance. Ces deux individus – l’un de sexe féminin, l’autre de sexe masculin – m’ont désigné de la tête sans aucune forme de préavis. J’eus l’impression fugitive qu’ils me connaissaient déjà. Il fut ensuite question d’une photo, punaisée à la station essence, sur laquelle j’apparaissais « adorable petit chiot ». Je confirme : je suis encore un adorable petit chiot de 4 mois et demi, âge auquel j’entame ce récit. Bref, après conciliabule entre humains, pendant lequel j’eus le net pressentiment que quelque chose de définitif se préparait, ce qui allait devenir à jamais «  ma maman humaine » me saisit de terre promptement et fermement et me blottit dans ses bras. La sensation fut d’abord désagréable : cette ascension rapide m’avait presque incommodé. Puis, je fus de suite conquis par sa voix, aux inflexions douces et variées. De même pour ses mimiques faciales : on lisait à livre ouvert dans cette âme humaine, par définition impénétrable pour ma race. Je sus immédiatement qu’une vie nouvelle commençait.
Je quittai donc mon frère de sang ma meute famille d’accueil par interim, et, toujours au creux des bras de ma maman humaine, montai dans l’énorme 4X4 abordant ispo facto des horizons nouveaux dans un bruit et un tremblement de fanfare…
L’arrivée fut intéressante. D’autant que je m’en souvienne, j’ai longuement hésité à m’installer sous un bahut rassurant et au beau milieu d’un tapis de corde bien isolant, les deux se partageant deux propriétés, normalement associées. Ce n’était pas le cas, il me fallait choisir entre tranquillité et confort. C’est là qu’on voit l’écart entre l’humain et le chien, lequel placerait le tapis sous le bahut tout bonnement. J’optai pour une troisième voie : un pipi sur le carrelage. Quoi qu’il fût selon les spécialistes, miction de territorialisation, manifestation anxieuse ou encore tentative de domination, je sentis dans la meute famille une réaction mitigée, de contrariété et de bienveillance à la fois. Les choses allaient se clarifier très vite et la contrariété l’emporter.
Ce soulagement – impératif autant physiologique que psychologique je le reconnais – me prédisposait à l’assoupissement : mes pattes faiblissaient, mes yeux papillotaient et mon odorat saturait. Je sombrai rapidement dans un sommeil réparateur, encore attentif à ce qui se disait sur moi.
Ainsi, mon papa humain qui jusqu’alors m’avait peu approché, hasarda une caresse sur une patte antérieure. L’intention était louable ; le résultat, discutable. Mais je n’aurais pas l’ingratitude de lui en tenir rigueur , j’appris à cet instant que « j’étais son premier chien », formule qui me laissa perplexe. Ma maman humaine, beaucoup plus expérimentée, entreprit pour l’occasion le récit de précédentes adoptions par alliance, récit que je trouvai légèrement déplacé mais dont je compris aussi tout le caractère pédagogique : son congénère s’en trouva de suite rasséréné ; je serais entre bonnes mains… Puis tout s’obscurcit, je dormis.

Le lendemain, on me plaça dans un panier destiné au transport du bois me semble-t-il ; il me servirait de couffin. Un panier à chien m’eut semblé plus adapté puisque je n’étais ni une bûche ni un bébé mais je n’osai imposer mes vues d’autant que symboliquement l’objet était parfait : je dormais comme une souche 20 heures par jour et mignotais comme un bébé. Ce périmètre restreint suffisait à une exploration prudente, mon pas étant encore mal assuré. A la faveur de déplacements, aéroporté dans mon panier, je découvrai d’autres horizons : le bureau de ma maman humaine, son salon de musique. Dans le premier, le papier éjecté par l’imprimante me ravissait ; dans le second, me pelottonner entre ses pieds, elle, jouant de son violon, moi, espérant les ultrasons, était charmant.

Je m’habituai progressivement aux croquettes « premier âge », sans nostalgie aucune pour le lait maternel dont je fus sevré brutalement. On m’avait abandonné tout petit, je serais résilient ! Je mis donc un point d’honneur à me faire les dents sur cette nourriture de grand. C’est ainsi que le 22 mars, à la visite médicale, le pèse-chiot inscrit : 3,7 kg, mesure qui fut immédiatement consignée dans mon carnet de santé. Le pire restait à vivre : la vétérinaire me tripota, me piqua, me palpa et me traita de douillet pour finir. Je tombai de la table, sans chiquet. La chute fut rude mais l’honneur sauf. Caresses et autres douceurs furent ma récompense.
Je sortis de là, immunisé.

Le 23 mars, je compris enfin que Cueillette était le chaton de la meute famille, autrement dit, ma grande sœur. J’y reviendrai, les occasions de l’associer ne manquent pas.

L’apprentissage de la propreté se fit dans des circonstances très particulières et bucoliques. Nous étions partis dans l’extrême-sud corse. Ce jour-là, nous avions fait une traversée très mouvementée vers la Sardaigne et la traversée de retour dans la foulée. Y-avait-il un rapport entre toute cette eau écumeuse et mes modestes vidanges ? Je l’ignore, toujours est-il que je decidai de passer la nuit sans. Cela dit, nous logions dans une niche sans commune mesure avec la niche habituelle. Non pas en dur mais en toile, et d’une superficie à peine plus grande que mon tapis. Une fine cloison me séparait de mes maîtres que j’aurais volontiers rejoint si n’étaient les incitations répétées de ma maman humaine à me calmer, laquelle partageait en son for intérieur la même excitation. L’analyse de la situation fut rapide : trop peu d’espace n’autorisait ce genre de choses sans s’avilir, je ne l’envisageais même pas. C’est donc stoïque et dans l’intimité de mes maîtres que j’abordai cette nuit initiatique. Par chance, les nuits au camping sont courtes, je fus levé à l’aube par une maman humaine, fière du dernier-né de sa meute-famille. Puis, la vie reprit sont train train quotidien.

6 juin peut-être, je n’ai pas grande notion du temps
Je passe la journée en grande partie dehors à explorer les alentours avec une grande rigueur. Tout tuyau, asperseur, goutteur et tubulure a passé sa visite de conformité : je suis donc en mesure de confirmer que tout fonctionne à merveille ; pourtant  maman humaine trouve nécessaire de remplacer ce que j’ai testé justement avec le plus grand sérieux… Sinon, je cavale, caracole et gambade dans les talus, sur les traces de Cueillette ou celles d’un papillon, sachant me rendre utile quand il le faut. Ainsi, je suis très doué pour le desherbage. J’y mets tout mon cœur et mes dents de lait. Je ramasse aussi les balles de ping pong, taille les rosiers, déterre, ensable, creuse et recreuse. Je fais tout ça inné. Parlons à présent de mes acquis. Je connais « assis » ( valeur exprimée en caresse ) , « couché » ( idem ) « pas bouger » (id). Quand je ramène une balle, la lache et met la patte sur l’avant bras de ma maman humaine, c’est mieux payé, en croquettes – deux. Si en train de jouer avec Cueillette, je reviens au triple galop à l’injonction « viens », les enchères montent : 3 croquettes et quand enfin je réussis l’exploit de rester assis devant mon bol de croquettes, sans bouger et sans broncher en attendant le fameux « allez, mange », je gagne un repas complet ! Ah j’oubliais, je réponds généralement à mon nom, sauf cas de force majeure. Je communiquerai plus tard la nomenclature des cas de force majeure au rang desquels figurent en première place Cueillette, mais nous verrons cela plus tard.
A propos de mon nom, j’ai échappé au pire. En effet, j’aurais pu m’appeler « Caillou » au motif que ma maman humaine à l’âge de 7 ans, à Espagnac Sainte Eulalie, se prit d’amitié pour un chien sans imagination qui rapportait systématiquement les cailloux qu’elle lui lançait ; la séparation fut donc un déchirement. Comment en effet renoncer à cette toute-puissance (elle ) et à cette addiction (lui ) ? Par chance, ma maman humaine est musicienne et lacanienne. Je m’appelle donc Tempo, exempt de toute mission de réparation dans le roman familial.



Un autre jour de juin
Aujourd’hui, je pèse 12 kilos ; la balance électronique terraillon est une précieuse alliée depuis que mes repas sont calculés en fonction de mon poids mais aussi de mon âge et de ma taille future. Ainsi, selon ce calcul savant, j’ai droit à une ration quotidienne de 330 grammes, pérennisant la corrélation selon laquelle plus je grossis, plus ma pâtée augmente ; je trouve cela très bien.

A part cela, je cherche mon identité. Suis-je dominant (D  au test de Campbell ), super-dominant (TD) , soumis ( S) très soumis ( TS), inhibé (I) ? La question semble d’importance. Cela me trouble. Je sais à peine que je suis chien. Mon proto-soi, insondable, me suffit.

Le lendemain, aujourd’hui en somme
Grande nouvelle : deux brillants ultrasonistes ont confirmé leur venue en aôut prochain. Ils viennent du continent et entretiennent un lien familial étroit avec ma maman humaine. Il est également beaucoup question de musique entre eux puisqu’ils partagent cette quête ( que je ne saurais que trop encourager ) de l’ultrason parfait. Moi-même je présente de grandes dispositions à l’accompagnement rythmique « au fouet » ( autre nom, plus élégant désignant la queue d’un animal ) ; je pense donc soumettre ma candidature au trio lors de notre rencontre. J’ajoute que j’ai pour ascendant direct, un célébre labrador distingué par Paté Marconi et immortalisé comme « la voix de son maître ». Je tiens de mon cher aïeul d’étonnantes capacités d’expression vocale qui ne demandent qu’à s’affirmer.

Demain : je ne peux rien en dire encore…