La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

lundi 31 octobre 2011

le journal de Tempo n°7, chronique d'un chien presqu'humain

5 juillet
A 6h05, Mam’hum a avalé un bol de café mais a laissé ses tartines. A 6H08, elle a fermé une valise que Pap’hum a descendu à 6h09. A 6h10, Mam’hum m’a fait une caresse distraite, et une lointaine promesse, que je n’ai pas comprise, car un chien, à la différence d’un humain, n’anticipe jamais rien. A 6h12, j’ai entendu la porte d’entrée se refermer, j’ai senti mon cœur de chien, mon cœur de bête, se serrer ; j’ai entendu leurs pas dans l’escalier, leur voix s’éloigner. Je me suis faufilé par la chatière ; bientôt je ne pourrai plus y passer ; bientôt je ne pourrai plus aller voir qui arrive, qui part, qui revient, qui. Ce matin, à 6h14, c’était peut-être la dernière fois que je me contorsionnais pour passer la chatière. Je me suis posté, là où tout le monde me regarde d’en bas, tout en haut du talus, à la place d’où je veille, surveille, flaire, renifle le monde. A 6h15, je les ai vus passer devant la maison, monter dans le 4X4, je les ai vus ne pas me regarder. J’ai senti mon cœur de chien, mon cœur de bête, pleurer, à la manière d’un chien, sans larme et sans parole mais ça faisait quand même un énorme chagrin, là, à l’avant de mon être, un écran à ma vie, une grosse croquette mouillée qui allait m’étouffer. A midi, Pap’hum est revenu pour me faire manger mais il n’est pas resté. Le soir, personne n’est revenu.

6 juillet
Je suis réveillé depuis longtemps. Le volet de la porte est resté ouvert toute la nuit, il fait jour. J’écoute les bruits, concentré sur l’absence. Nul bruit de douche ; j’épie ; les canalisations se sont tues. Je me penche sur mon bol d’eau, je vois dans les deux yeux marrons qui tremblent à la surface de l’eau deux yeux marrons presque pareils qui tremblent à la surface de mon âme. Car un chien a une âme, élémentaire, bloc peu retouché, prototype une peu grossier de l’âme humaine, une âme embryonnaire de fœtus amniotique. Nulle voix, nul autre que soi. J’aboie, juste une fois. Tout à coup, j’entends la sonnerie, celle qui, tous les matins, me prévient. Je suis sur mes pattes. J’attends. La sonnerie me parvient, me prévient, quelqu’un vient ?... Non. Seule la sonnerie emplit tout le vide de mon cerveau de chien. Puis ça s’arrête. Le souvenir strident vibre longtemps, porté par l’air, soulevé par la mémoire. Il y a déjà trop de lumière, le bleu du ciel éclaire le blanc des choses par le dedans. Couché sur le côté, moi qui ne sais pas compter, j’envie ce qui se compte. Le nombre de carreaux au dessus de l’évier, ils sont dix-huit bien alignés, les sept cartons qui tiennent sur deux piles, les vêtements de jardin, les paires de bottes, les néons du plafond… je fais semblant de compter, vais au-devant, essaie de me rapprocher ; mais non, au semblable et au multiple, malgré moi je suis trop étranger, j’en reste subjugué.
Puis de nouveau j’aboie. C’est la voisine d’à côté. Je cesse d’aboyer. Elle me verse à manger, mais elle ne va pas rester.

7 juillet
Cette nuit, Cueillette est revenue, à un moment, j’ai cru.

8, 9, 10,11,12 juillet
Debout dans l’orlyval, Mam’hum regarde l’affiche « Orly Ouest, orly Sud : deux gares pour ne pas se tromper ». C’est bien trouvé. Elle essaie de deviner où se rendent les autres passagers, au volume des bagages, un critère simple, une réduction parfaite.Sa petite valise est posée sur la tranche, roues en l’air sur le travers, l’une d’elles tourne lentement entretenue par la vibration du train. Elle pense aux tortues qui se débattent quand elles sont sur le dos. Elle vérifie son mémo voyage : ouest. Elle le savait déjà. Deux précautions valent mieux qu’une ; avec deux gares, on ne sait jamais - même si on ne peut pas se tromper. Elle pourrait rater l’avion, ce que tout le monde ou redoute ou espère, ici. Elle prend rarement l’avion : redouter et espérer lui sont rigoureusement étrangers ; ce qui lui est familier, c’est l’entre-deux. Je comprends cela très bien. La peur instille l’espoir, l’espoir instille la peur, appelons cela « l’espeur », couleur secondaire, impure, provenant du mélange intérieur et inférieur de deux humeurs primaires.
Pendant ce temps-là, moi, je mûris. La séparation fait accélération. De mon tapis, je m’élève vers d’autres possibles, mes dents de lait sont toutes tombées et je secrète joyeusement l’adolescence, en hormones sexuelles de bonne qualité. Je délaisse mes jouets un instant, remplace les croquettes de mes rêves par des utopies, des phalanstères, des esperanto, des mondes solidaires, égaux et souriants, des mondes imaginaires, plus vrais que vrais, manifestes pour un monde meilleur, de grand partage, de communion, imaginant pour tous, riches et déhérités, sa part de croquette collective ; moi, le hippie christique que l’adolescence exalte, je donne une place à chacun dans la file d’attente, au milieu des vivats.  
Oui, je mûris. Ce « oui » en est la preuve. Ce « oui » me pose. Il vient d’un monde tout en affirmation, un monde blanc aux bords tranchants ; exit mon ancien monde, frangé, pommelé, tout en hésitation. Oui, je suis tout seul. Oui, Mam’hum est partie.
Je ressasse en boucle notre adieu, la ritualise en une geste magnifiant les hauts faits de notre existence, m’attarde sur les détails de notre quotidien, échantillons d’ordinaire tellement parlant de l’extraordinaire car ne pas se dire adieu laisse une vie entière en suspension. Pour le banquet d’adieu, pas de grands salamalecs non plus, la sobriété est forme de pureté, quelques croquettes auraient pu fait l’affaire. Nous nous serions quittés après avoir rompu une croquette en forme de cœur moitié moitié et salué l’amitié, front contre terre, graves et silencieux, se réjouissant qu’entre le Soi et d’autres Soi la continuité soit possible, qu’il existe de quoi pour un lien. De la grande connexion, connaitre l’inclusion aurait été merveilleux, là, tous les deux.

le journal de Tempo n°7, chronique d'un chien presqu'humain

5 juillet
A 6h05, Mam’hum a avalé un bol de café mais a laissé ses tartines. A 6H08, elle a fermé une valise que Pap’hum a descendu à 6h09. A 6h10, Mam’hum m’a fait une caresse distraite, et une lointaine promesse, que je n’ai pas comprise, car un chien, à la différence d’un humain, n’anticipe jamais rien. A 6h12, j’ai entendu la porte d’entrée se refermer, j’ai senti mon cœur de chien, mon cœur de bête, se serrer ; j’ai entendu leurs pas dans l’escalier, leur voix s’éloigner. Je me suis faufilé par la chatière ; bientôt je ne pourrai plus y passer ; bientôt je ne pourrai plus aller voir qui arrive, qui part, qui revient, qui. Ce matin, à 6h14, c’était peut-être la dernière fois que je me contorsionnais pour passer la chatière. Je me suis posté, là où tout le monde me regarde d’en bas, tout en haut du talus, à la place d’où je veille, surveille, flaire, renifle le monde. A 6h15, je les ai vus passer devant la maison, monter dans le 4X4, je les ai vus ne pas me regarder. J’ai senti mon cœur de chien, mon cœur de bête, pleurer, à la manière d’un chien, sans larme et sans parole mais ça faisait quand même un énorme chagrin, là, à l’avant de mon être, un écran à ma vie, une grosse croquette mouillée qui allait m’étouffer. A midi, Pap’hum est revenu pour me faire manger mais il n’est pas resté. Le soir, personne n’est revenu.

6 juillet
Je suis réveillé depuis longtemps. Le volet de la porte est resté ouvert toute la nuit, il fait jour. J’écoute les bruits, concentré sur l’absence. Nul bruit de douche ; j’épie ; les canalisations se sont tues. Je me penche sur mon bol d’eau, je vois dans les deux yeux marrons qui tremblent à la surface de l’eau deux yeux marrons presque pareils qui tremblent à la surface de mon âme. Car un chien a une âme, élémentaire, bloc peu retouché, prototype une peu grossier de l’âme humaine, une âme embryonnaire de fœtus amniotique. Nulle voix, nul autre que soi. J’aboie, juste une fois. Tout à coup, j’entends la sonnerie, celle qui, tous les matins, me prévient. Je suis sur mes pattes. J’attends. La sonnerie me parvient, me prévient, quelqu’un vient ?... Non. Seule la sonnerie emplit tout le vide de mon cerveau de chien. Puis ça s’arrête. Le souvenir strident vibre longtemps, porté par l’air, soulevé par la mémoire. Il y a déjà trop de lumière, le bleu du ciel éclaire le blanc des choses par le dedans. Couché sur le côté, moi qui ne sais pas compter, j’envie ce qui se compte. Le nombre de carreaux au dessus de l’évier, ils sont dix-huit bien alignés, les sept cartons qui tiennent sur deux piles, les vêtements de jardin, les paires de bottes, les néons du plafond… je fais semblant de compter, vais au-devant, essaie de me rapprocher ; mais non, au semblable et au multiple, malgré moi je suis trop étranger, j’en reste subjugué.
Puis de nouveau j’aboie. C’est la voisine d’à côté. Je cesse d’aboyer. Elle me verse à manger, mais elle ne va pas rester.

7 juillet
Cette nuit, Cueillette est revenue, à un moment, j’ai cru.

8, 9, 10,11,12 juillet
Debout dans l’orlyval, Mam’hum regarde l’affiche « Orly Ouest, orly Sud : deux gares pour ne pas se tromper ». C’est bien trouvé. Elle essaie de deviner où se rendent les autres passagers, au volume des bagages, un critère simple, une réduction parfaite.Sa petite valise est posée sur la tranche, roues en l’air sur le travers, l’une d’elles tourne lentement entretenue par la vibration du train. Elle pense aux tortues qui se débattent quand elles sont sur le dos. Elle vérifie son mémo voyage : ouest. Elle le savait déjà. Deux précautions valent mieux qu’une ; avec deux gares, on ne sait jamais - même si on ne peut pas se tromper. Elle pourrait rater l’avion, ce que tout le monde ou redoute ou espère, ici. Elle prend rarement l’avion : redouter et espérer lui sont rigoureusement étrangers ; ce qui lui est familier, c’est l’entre-deux. Je comprends cela très bien. La peur instille l’espoir, l’espoir instille la peur, appelons cela « l’espeur », couleur secondaire, impure, provenant du mélange intérieur et inférieur de deux humeurs primaires.
Pendant ce temps-là, moi, je mûris. La séparation fait accélération. De mon tapis, je m’élève vers d’autres possibles, mes dents de lait sont toutes tombées et je secrète joyeusement l’adolescence, en hormones sexuelles de bonne qualité. Je délaisse mes jouets un instant, remplace les croquettes de mes rêves par des utopies, des phalanstères, des esperanto, des mondes solidaires, égaux et souriants, des mondes imaginaires, plus vrais que vrais, manifestes pour un monde meilleur, de grand partage, de communion, imaginant pour tous, riches et déhérités, sa part de croquette collective ; moi, le hippie christique que l’adolescence exalte, je donne une place à chacun dans la file d’attente, au milieu des vivats.  
Oui, je mûris. Ce « oui » en est la preuve. Ce « oui » me pose. Il vient d’un monde tout en affirmation, un monde blanc aux bords tranchants ; exit mon ancien monde, frangé, pommelé, tout en hésitation. Oui, je suis tout seul. Oui, Mam’hum est partie.
Je ressasse en boucle notre adieu, la ritualise en une geste magnifiant les hauts faits de notre existence, m’attarde sur les détails de notre quotidien, échantillons d’ordinaire tellement parlant de l’extraordinaire car ne pas se dire adieu laisse une vie entière en suspension. Pour le banquet d’adieu, pas de grands salamalecs non plus, la sobriété est forme de pureté, quelques croquettes auraient pu fait l’affaire. Nous nous serions quittés après avoir rompu une croquette en forme de cœur moitié moitié et salué l’amitié, front contre terre, graves et silencieux, se réjouissant qu’entre le Soi et d’autres Soi la continuité soit possible, qu’il existe de quoi pour un lien. De la grande connexion, connaitre l’inclusion aurait été merveilleux, là, tous les deux.

lundi 24 octobre 2011

le journal de Tempo N°6bis, chronique d'un chien presque humain

T : Tempo le chien
C : Cueillette la chatte

T : Dis, Cueillette, pourquoi tu persistes à me faire la gueule ?
C : ...
T : tu ne veux pas me répondre ?
C : miaaaaaaaaaaou ! miaaaaaaaaaou !
T : écoute, je vois bien que tu es malheureuse. Remarque, je ne suis pas si bête, je sais pourquoi
C : ah ! Tu sais pourquoi, toi ?
T : ben oui, j'ai envahi ton territoire et tu ne le supportes pas. Tu sais, j'en ai bavé au début, quand tu me chassais chaque fois que j'essayais d'entrer dans la maison. Tu grondais et crachais et te dressais sur tes pattes, le dos rond, la queue gonflée de colère. Tu étais jalouse et tu l'es encore, voilà tout !
C : moi, jalouse ? Tout ce que je sais, c'est que depuis que tu es là, Mamum me néglige.
T : quoi, elle te néglige ?
C : mais oui : avant elle venait vers moi, me prenait sur ses genoux et me caressait inlassablement quand elle s'asseyait là sur le canapé.
T : mais elle le fait toujours. La preuve, elle ne me regarde même pas quand je tire le bas de sa robe pour qu'elle s'occupe de moi. Elle me repousse et elle râle : oh lâche-ça, Tempo, tu vas tout déchirer ! Et elle continue de te caresser, toi, les yeux clos, toute ronronnante de béatitude. Alors là, tu aurais tort d'être jalouse.
C : d'abord, je ne suis pas jalouse, je constate seulement que depuis ton arrivée, il n'y en a que pour toi : et Tempo par ci, et Tempo par là. Et toi, tu arrives en gambadant, en faisant des mamours. Par exemple, quand debout  tu poses les pattes sur ma maitresse et que tu tends ton museau pour te faire embrasser. Et elle qui minaude : comme il mignon mon Tempo ! Miaaaaaou, Miaaaaaaaaaou.
T : vraiment tu exagères. Tu veux que je te dise : tu as plus de chance que moi. Tiens, à toi, on ne dit jamais : assis Tempo ! viens ici Tempo ! attends Tempo ! Non, tu as le droit de faire ce que tu veux. En réalité, tu es un être libre. Moi, pas.  Ouaaaaaaaaaaaah, ouaaaaaaaaaaaah !
C: oh, arrête, tu vas me faire pleurer ! Mais tu ne vois pas que tu es gâté, oui, supergâté. Tout le monde fond devant tes facéties et te flatte à qui mieux mieux. Et quand nos maîtres sortent, ils t'emmènent avec eux,  tandis que moi je reste toute seule à la maison et je m'ennuie. Je t'envie, si tu veux savoir !
T : franchement tu n'as pas à m'envier : toi tu bulles et moi je galère. Tiens, l'autre jour, quand on est allés chez tonton Gilbert, il a fallu que je flaire les traces d'un sanglier et que je ballade ma truffe au ras du sol alors que j'avais envie de m'amuser avec les papillons. Et toi, pendant ce temps-là, qu'est ce que tu faisais ? Tu pouvais roupiller à ton aise ou penser dans ta tête, philosopher peut-être ?
C : philosopher ? Tu me fais rire. Qu'est-ce que ça veut dire pour toi ?
T : ben, réfléchir sur la vie.
C : justement, si on réfléchissait sur nous deux.
T : quoi, nous deux ?
C : tu vois, on se jalouse l'un l'autre, mais tu ne voudrais pas être à ma place, pas vrai ?
T : ben non. Et toi, est-ce que tu voudrais être à la mienne ?
C : ça non, je suis un chatte quand même !
T : et moi, un chien, quand même !
C :  remarque, je comprends que tout le monde t'apprécie : tu es si gai, si spontané
T : et toi, si gracieuse, si délicate, tellement libre
C : tout bien réfléchi, je crois que je t'aime bien
T : euh, finalement, moi aussi, j'avoue.
C : miaou, miaou !
T : ouah, ouah !
Françoise Gailliard

mardi 18 octobre 2011

Le journal de Tempo n°6, chronique d'un chien presqu'humain

3 juillet
Résumé de l’épisode précédent :
Alors que Tempo, invité chez Tonton Gilbert et Tata Michèle, visite le jardin, le groupe découvre avec épouvante les dégâts causés par un énorme sanglier sanguinaire – comme les îles du même nom, en face desquelles l’intrigue incroyable se déroule… Tonton Gilbert a immédiatement l’idée saugrenue de faire jouer à Tempo un rôle majeur dans cette aventure.

Une fois en haut, loin du verger et à des années lumière du potager, je m’assis pour reprendre mes esprits. Que projetait exactement Tonton Gilbert ? D’abord qui c’était ce Tonton Gilbert, hein ? Avait-on gardé les cochons ensemble ? Etait-on cousins ? non, pas que je sache ! Zut alors ! S’il envisageait un combat, soyons clair, on frisait le ridicule ! Sur la terraillon, 13,9 kg, tout mouillé, encore toutes ses dents de lait, qu’allait-on espérer ? « Un poids lourd écrase en un round un poids plume ! » lirait-on dans Corse-canin, le lendemain. Je sentis comme un grand coup de fatigue. N’étais-je pas sous-alimenté ? Un peu d’anémie peut-être ? Une chose était sûre : ce n’était pas avec 350 gr de croquettes que j’allais tenir le coup ! Les humains savent-ils que le stress donne faim ? GPB -Grand-Père Bernard, qui connaît bien les chiens, le sait bien, lui !
Je récapitulai. Face au sanglier, mes chances étaient nulles : j’étais petit, maigre, l’estomac vide depuis midi… Mais non !!! Mam’hum m’avait fait manger juste en arrivant, avant eux même ! Fichtre, il se tramait quelque chose d’anormal, jamais, je mangeais avant les humains ! Mon cœur s’emballait. J’entendis qu’on m’appelait. Je pris un air détaché, tournai la tête de côté et intimai à mes oreilles l’ordre de ne pas bouger ; ce simulacre de surdité est une réponse adaptative au danger chez la plupart des espèces, il accompagne le réflexe de sidération, mieux connu il est vrai par les éthologistes.
Même avec une double ration de croquettes, je dirais non. Non, non et non, je n’irais pas me battre contre un sanglier pour en faire du saucisson ! J’avais du sang corse certes : le sens de l‘honneur, le sens du devoir, du courage. Je n’étais pas un dégonflé, non plus : la preuve en avait été faite en son temps face à Charlotte la tortue. Mais entre une tortue et un sanglier, il y avait une marge ! Mam’hum m’avait habitué à des exercices plus progressifs, pile poil dans la zone proximale de développement. Tandis que là…Je passai en troisième cycle direct-os ! Alors, quitte à aller taquiner le sanglier, autant le faire en posant ses conditions, je me disais. Je remplirais ma mission si j’obtenais :
-       Une triple dose de croquettes par jour
-       La suspension définitive des bains et autre mignardises de fillettes à sa toilette : la virilité se cultive sous l’aisselle fumante et l’haleine puissante
-       libre accès aux éponges, aux lits, aux plates-bandes et à la gamelle de Cueillette – pas pour le même usage mais avec libre emploi.
-       Installation d’une toutouière ( j’en ai marre de ramper comme un ver de terre pour passer la chatière de Cueillette, sujet de raillerie préféré de la susnommée )
-       Droit plénier et inaliénable de mettre les pattes avant sur les tables, bureau, évier ou tout autre meuble sur lequel les humains posent généralement des choses épatantes
J’ajoutai enfin une dernière clause : si on n’exécuait pas mes ordres, j’abattrais un lezard toutes les heures ! Euh ?! toutes les ½ heure ! Na !
Je ne rigolais pas, comme vous voyez. Puis j’attendis. L’évocation de Cueillette m’avait donné une idée. A nous deux, nous pouvions peut-être – je dis bien peut-être, il ne faut pas vendre la peau du sanglier avant de l’avoir tué -  nous pouvions peut-être, si les astres nous étaient favorables et le destin clément, éventuellement envisager un affût , fûtés que nous étions (surtout moi)…. Comment ça : c’est tout ? Il y a affût et affût, figurez-vous. En l’espèce, mon affût était en plein air : notez que de l’intérieur, c’était autrement plus confortable mais que la présomption de sanglier était mince ; fort de cette constation, le plein air était LA solution, comme en mathématique : déductible, juste et élégante. Ce n’était donc pas un simple affût, comme certains fâcheux le prétendent encore. De plus, il s’agissait d’un affût de nuit : notez qu’au crépuscule, on n’y voit goutte et que les chiots à peau tendre sont susceptibles de se faire méchamment attaqués par les phlébotomes, sortes de moustiques effroyables du pourtour méditérrannéen. Encore une fois, au risque de me répéter, mon affût n’était pas de la gnognotte. Et enfin, je suggérais un affût tout seul ( Cueillette et moi ne faisons qu’un ) : notez qu’un chien depuis des millénaires vit en meute, a développé ipso facto un fort sentiment grégaire associé un sens de la communauté indéniable et que c’était tout de même pas pour les beaux yeux d’un sanglier qu’on allait contrarier l’évolution des espèces ! J’insiste : même Pap’hum, qui n’a peur de rien, ne fait jamais d’affût en plein air, de nuit et tout seul. Grand praticien de l’affûmobile, il observe les oiseaux, à bord du 4X4, de jour et avec Mam’hum, alors ! Bon sang, économisons notre énergie, me disais-je. Cueillette était douée d’une vision nocturne que même un fusil à infra-rouge du GIGN ne possédait pas. Un bon point. Sur le calendrier, la date tombait sur un nœud lunaire. Chic ! Deuxième bon point. Je ne sais pas ce que c’est mais j’ai observé que dès qu’ils sollicitent le ciel, les humains y voient des coïncidences formidables. Autre bon point : j’avais authentifié de façon formelle l’auteur des dégâts, ma mission était donc terminée, je déléguerais à Cueillette tous mes pouvoirs et lui donnerais carte blanche pour la suite. Tout en éprouvant mon plan dans les moindres détails – je n’aurais pas supporté qu’on me reprochât la moindre précipitation -  je me repliai d’un pas égal vers le 4X4. Arrivé à la hauteur du pneu arrière droit, j’eus à cet instant précis comme la révélation que cet engin que je tenais jusqu’à présent dans la détestation avait des atouts cachés. Dans un geste d’amitié aussi spontané que désintéressé, j’appuyai le flanc contre le pneu arrière gauche, pareillement tremblants. Et je soufflai. C’est alors que je perçus le soupir du pneumatique.
-       Pourquoi  tu ne m’aimes pas ? demanda-t-il l’air triste
-       Oh, si, gentil Pneu ! J’apprécie qu’entre la route et moi, tu …….
-       J’aplanis les bosses, je comble les ornières, coupa-t-il avec fièvre, c’est que le rouleau compresseur et moi, avons plus qu’un air de famille ! Nous sommes cousins !
-       Oh, tu es bien plus moelleux Le Pneu ! et tu es courageux : par tous les temps, la pluie, la neige, le sable : rien ne t’arrête, c’est merveilleux ! Même en haut du Vizzavona on te voit en plein hiver ! Et l’été, aucune corniche ne te résiste ! Léger, chargé, qu’importe, tu gardes la pression.
-       Les miens m’appellent Le Preux.
-       Enchanté Le Preux ! Moi, c’est Temp…
-       Le Preux refuse les chaînes, et toutes sortes d’artifices ! se mit-il subitement à déclamer avec emphase. J’embrasse le macadam à plein caoutchouc, file sur les pistes dans un tourbillon de sable et quand il faut freiner, Le Preux ne se fait pas prier : « Allez Le Preux, fais chauffer les plaquettes ! m’encouragent les essieux, montre leur de quoi  tu es capable ! Mets la gomme, quoi ! » L’air de rien, je suis sensible à ces marques de sympathie : même mécanique nous lie, du reste. « C’est sûr on gardera une trace de son passage sur cette terre », disent-ils aussi. Parfois je me sens à plat cependant, mou du tubless. Mais nous, les pneus, avons notre médecine douce, notre spa : la station de gonflage. Un coup de déprime ? et hop, 2 litres d’air comprimé ! Un clou entre deux rainures ? Le cloutologue vous enlève ça illico presto. Mais ce que je préfère, c’est la cabine de massage : rien de tel pour vous remettre à neuf ! Ca chatouille entre les boulons et ça picote le caoutchouc comme une petite grêle de printemps.
-       Pourquoi soupirais-tu alors ?
-       Car quand un chien s’approche de moi, c’est souvent humiliant.
-       Ah ?
-       Tu es jeune, Tempo. Mais tu verras, quand tu lèveras la patte, la bobinette cherra…euh ??! Non, je confonds : quand tu lèveras la patte, tu chercheras de préférence le plus gros pneu. Tes congénères sauront ainsi à qui ils ont affaire. Un pipi sur un pneu de bicyclette est à la portée de n’importe quel caniche, tu es d’accord : jamais tu ne les impressionneras. Tandis qu’un pneu de 4X4 c’est autre chose, c’est pour les gros gabarits, pardi ! Crois-moi, les petits roquets me regardent avec envie ! J’en vois parfois, qui vont jusqu’à se dévisser la hanche pour diriger le jet le plus haut possible et ainsi créer l’illusion ! Certains en tombent ! Le proverbe dit : Qui lève la patte, fais de l’épate ! Est-ce que je me gonfle d’orgueil moi ? est-ce que je joue à la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf ? Non, je ne triche pas avec les bars.
Sur cette profession de foi, il s’ssoupit. Psccchhh… fit-il.

-       Eh bien mon poulélou, tu étais là ?
Perspicace, Mam’hum.
-       ouah, ouah !
-       oh mon tout doux !
Comprenait-elle ma détresse ? Me pardonnait-elle ma faiblesse – passagère ? Saurait-elle convaincre les autres d’embaucher chien plus qualifié pour ce travail hautement spécialisé ?
A mesure que Tonton Gilbert et Pap’hum se rapprochaient, je me ratatinais contre Le Pneu. ( Oh Le Pneu Preux, prête-moi secours, prends-moi sous ton aile… )
- Tempo, viens avec nous, montre-nous par où le sanglier est passé !
Sans discuter, Pap’hum me prit par le collier.
-       Allez cherche, cherche…
C’était donc cela ! Aussitôt, je m’élançai vers le Nord, truffe à terre. Je me dirigeai droit là où le grllage avait été forcé, téléguidé par mon flair. Comment avais-je pu imaginer que ces sages humains allaient m’envoyer au casse-pipe ? Et d’un coup cette mésestime de soi ! J’avais déraisonné. Honte à ceux qui doutent !
Je recouvrai d’un coup ma bonne humeur et la confiance en moi. Au passage, je remarquai une taupinière ; un mulot était passé par là ; oh, une fourmilière ! oh, un écureuil était venu ici ! Une crotte de chat ? à moins que ce ne soit le renard ? Le petit groupe me suivait, imitant chacune de mes incartades, haletant au suspense. Seulement, émoustillé par toutes ces odeurs, j’avais perdu le fil. Où en étais-je ? Mam’hum vint à mon aide :
-       Alors Tempo, où il est passé le sanglier ? hein ?…
En une fraction de seconde la mémoire me revint. Dans un dernier effort de concentration j’éliminai toutes signatures olfactives parasites pour ne ressasser qu’une chose : les phéromones du coupable... Bien involontairement, nous avions atteint l’extrémité Sud du terrain, je fis volte-face et repartis en sens inverse, comme piqué par un hanneton. Quelques minutes plus tard, j’y étais.
-       Eurékouah ! Eurékouah ! Criai-je.
-       Il a trouvé : regardez, c’est là, le grillage a été forcé ! Bravo Tempo ! Bravo !
Et tout le monde me félicita. Après cette course, fourbus, nous remontâmes à la maison, moderato ma non troupeau, comme disent les chiens de berger. En arrivant, je bus un plein bol d’eau. Je m’endormis sous l’amandier.

lundi 10 octobre 2011

Le journal de Tempo n°5, chronique d'un chien presqu'humain

29 juin
Je réfléchis beaucoup à mon avenir. C’est un phénomène de croissance. Je me pose une question « A qui je veux ressembler ? » Mais est-ce la bonne question ? Doit-on se tourner vers l’extérieur pour se trouver ? Cela parait impropre, pourtant c’est ce que tout le monde fait, car à regarder vers l’intérieur, en plongeant dans les profondeurs, on a peur. Je ne juge pas, je constate seulement ; pour moi, petit chiot de cinq mois, dont la personnalité est peu complexe, c’est d’ailleurs plus facile. L’exploration de mes profondeurs est donc sommaire. D’autant que mon avenir est limpide : je veux être un artiste. La beauté m’aspire. M’y consacrer coule de source. Ma seule ambition : éprouver sans fin ce qui est beau et m’y lover comme un bébé. Ailleurs, quelque chose manque. Manque une fragilité. Le problème est évidemment la réalisation technique. Etre un artiste suppose généralement la pratique – parfaite - d’un art. Les chiens sont mal lotis. J’ai bien pensé à l’agility et au jumping : j’aurais la volonté et j’ai la constitution d’un champion. Mais toutes intéressantes ces disciplines soient-elles, jamais elles ne combleraient ma quête. Mon graal est au-delà du saut d’obstacles. Quelque part où l’esprit entre dans un univers de perceptions qui dépasse le sens habituel. Car les scientifiques sont formels, l’émotion artistique est un produit de l’activité neuronale, une ébullition du liquide cérébral, serais-je tenter de traduire. Les grandes inspirations dépendraient en fait de la qualité du bouillon : trop ou trop peu de dopamine et on ne connaîtrait de Rossini que le tournedos… Cette théorie paraît satisfaisante sur bien des points. Et si le sens artistique n’est qu’une combinaison synaptique, ce qui est bon à mon cerveau est bon à mes futurs talents. La relaxation mentale est fortement conseillée par exemple. Je m’étends sur mon tapis, les yeux mi-clos, et fais le vide. Une à une, je chasse toute croquette de mon esprit. Je me concentre sur la question : quel support donner à mon rêve d’absolu ? Pendant ce temps là, les dendrites poussent…Le yoga est également excellent. J’inspire abdominalement et j’expire abominablement. C’est assez sophistiqué et me donne le hoquet. Je déteste le hoquet. Car j’y suis sujet ! Cela peut me prendre n’importe quand, n’‘importe où, aussi subit et spectaculaire qu’un éternuement. Les deux sont de la même famille, je crois. Ils ont en commun le caractère erruptif. Quelle impuissance alors ! En plein aboiement, en plein baîllement, qu’importe, la violente secousse soumet mon estomac à d’épouvantables contractions. A chaque hoquet c’est le choc. Le seul remède : la respiration maîtrisée. J’inspire abdominalement et j’expire abominablement. C’est assez sophistiqué et me donne le mal de mer… Je déteste le mal de mer. Car j’y suis sujet ! Cela me prend systématiquement à bord du 4X4, aussi pernicieux et humiliant que le vertige. Les deux sont de la même famille, je crois. Ils ont en commun le caractère insidieux. Quelle vulnérabilité alors ! Dans un tournant, en haut d’un col, qu’importe, la nausée submerge mon système vestibulaire, je me fais tout petit pour vomir, ma fierté à rude épreuve. Le mal de mer malmène. Le seul remède : la respiration maîtrisée. J’inspire abdominalement et j’expire abominablement. C’est assez sophistiqué et m’incite à roter. Je déteste roter. Car j’y suis sujet ! Cela peut arriver dans ou hors des repas. Je trotte : je rote ; je crotte : je rote ! Aussi grossier et insultant que péter. Les deux sont de la même famille, je crois. Ils ont en commun le caractère gazeux. Quelle honte alors ! En pleine croquetterie, mes embarras digestifs ravagent mon estomac. Le seul remède : la respiration maîtrisée. J’inspire abdominalement et j’expire abominablement. C’est assez sophistiqué et…C’était en 1913. Treize bandits fumaient treize pipes. L’un d’eux dit : c’était en 1913. Treize bandits fumaient treize pipes. L’un dit : c’était en 1913. Treize bandits fumaient treize pipes. L’un d’eux dit : c’était en 1913. Treize bandits fumaient treize pipes. L’un d’eux dit : c’était en 1913… rrrrooonnn zzzzz ( ronflements )

30 juin
Comme toutes les nouvelles expériences, la première impression est fondamentale. Méprisez ce principe et vous privez –un- votre chien de la jubilation heuristique, -deux- votre meute famille de la fierté d’une éducation réussie. Si vous devez introduire un apprentisage de routine, qui va de surcroît le suivre toute sa vie, soyez de grâce patient ! Le meilleur ami de l’homme n’est pas une machine ni un sur-chien nietschéen. Tolérez ces limites, aimez sa médiocrité, acceptez ses errements, encouragez ses tâtonnements. Il en va de son dressage , flûte alors ! . J’emploie le mot « dressage »par souci de synonymie – il y a parmi mes lecteurs, de fins littérateurs - mais il me fait horreur. Pavlov est révolu ! Lorenz est dépassé ! Rompre avec les théories d’antan est le prix de la modernité ! Le conditionnement opérant, ASSEZ! Les écoles de chiens savants, STOP ! Les pavés de 68 ont amorcé le mouvement, continuons la lutte ! Résistons à l’aliénation ! Objectons ! Dénonçons racisme et ségrégation ! Oui, chasseurs, chasseuses, chien d’agrément, toutous de compagnie, molosses et rikikis, unissons-nous pour mettre bas les idoles du passé ! Libérés de nos chaînes, affranchis de nos carcans, nous chanterons alors d’un seul aboiement l’hymne de gloire :
« Aux armes, frères canins !
Formez vos bataillons !
Trottons, trottons…

Le militantisme me tente. Cette ferveur ! Partager l’idéal, rêver d’utopie dans la camaderie ! Se laisser emporter par une chaude cascade d’engagements et vouer sa vie à ses opinions, voilà de quoi donner un sens à sa vie ! Mais quelle cause épouser ? La libération du chien comporte des effets pervers – à titre de comparaison, imaginons une seconde l’indépendance de ces îles aidées des subventions de la meute nationale ? hein ? Qu’adviendrait-il de mes confrères cochons, ânes, vaches  et chevaux ? Non, la raison commande la coopération. Hissons pavillon blanc et restons domestiques…
Cueillette l’a bien compris. Réfractaire à  toute coalition, le chat a choisi la collaboration. Le chat est pétainiste.
Mais je m’égare. Je disais donc : comme toutes les nouvelles expériences, la première impression est fondamentale. Elle mérite qu’on s’y attarde. Pour ma part, j ‘ai trouvé la sensation curieuse. Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse à la fois éprouver du dégoût et de l’attraction. Mam’hum me parlait doucement à l’oreille, laquelle oreille s’en fichait par mal, soulagée que cette étrange toilette la mette hors de cause. Cela tenait de l’hygiène indienne et de la torture chinoise. Qu’en est l’origine, je l’ignore. Soucieuse à l’idée d’introduire cette nouvelle habitude dans mon quotidien, Mam’hum s’interrompait souvent pour relire la notice et renifler le tube débouché, tour à tour. A sa grimace, je me raidis. Qu’avait-on encore inventer pour contrarier les chiens ? A qui devais –je cette trouvaille ? A mon vétérinaire traitant ? à Mam’hum ? à Pap’hum ? En tout cas, rien de mon  instinct ne réagissait, il s’agissait donc d’une humânerie. Le découragement me gagna tout à coup. Puis Mam’hum, plus décidée que jamais me représenta la brosse à dent.

2 juillet
Nous sommes allés hier chez Tonton Gilbert et Tata Michèle. Ils habitent à une demi-heure de 4X4 une maison en plein maquis. C’est en grande partie à cause de cela que tout de suite j’ai intéressé Tonton Gilbert. C’était la première fois que j’étais invité. Je ne savais trop quelle attitude prendre : je choisis entre réserve et joie de vivre. Cela se traduit par de gracieuses cabrioles devant le public. C’est bien différent du mélange timidité/insouciance, lesquelles se manifestent tout différemment, par de petits sauts de côté enjoués. Parfois, si le contexte s’y prête, je peux aussi manifester une franche bonne humeur associée à la satisfaction de voir/revoir quelque humain sympathique : je me dresse alors sur mes pattes arrières et me laisse tomber de tout mon poids sur l’humain sympathique sus-cité. Ainsi, torse contre torse, nous nous congratulons joyeusement. Que j’aime cette fraternité ! Avec Tonton Gilbert et Tata Michèle, foin des manières et des cérémonies : je m’abandonnai à mon naturel et donnai de suite à cette rencontre un air de fête. Mam’hum sortit de son sac une boîte de friandises, Pap’hum sortit, lui, une plaisanterie. Une fois les présentations faites, Gilbert dit, mystérieux :
-       Toi, tu vas m’être utile !
-       Ouah, ouah, je répondis, trop heureux de rendre service.
En conséquence de quoi, ils se tournèrent vers une tranchée longue de 32 mètres et profonde d’un bon mètre. J’eus à peine le temps de comprendre à quoi ma réponse venait de m’engager que Tonton Gilbert expliquait que le bulldozer avait abandonné. Je sentis ma gorge se nouer. Certes, mes trous dans le jardin en avaient impressionné plus d’un mais là, c’était Verdun !
-       ouah, ouah objectai-je
Mam’hum – support inconditionnel - répondit quelque chose de gentil, et enjoigna le groupe de visiter le potager. Tout le monde descendit ; je leur emboîtai le pas ; le mien, tout à coup plus léger. C’est alors que je compris. Au sol, des traces fraîchement laissées, signalaient la présence d’un chien - grande race. Tonton Gilbert me recrutait pour le chasser pardi ! Immédiatement, je me mis en devoir de répandre quelques mictions de territorialisation bien senties, histoire de mettre en demeure le bandit de garder le maquis. Sans respect pour la clôture par-dessus le marché… quel culotté ! D’autres indices visuels vinrent corroborer  mon intuition : ce chien devait peser au moins 60 kg pour labourer le sol de la sorte. Si ce n’était le devoir moral qui me liait à notre hôte, une connivence aurait pu s’installer entre moi et l’autre tant cette ardeur à creuser toute virile forçait l’admiration. Mais il n’était pas question de pactiser avec l’ennemi. Nous arrivâmes au verger. Là les humains montrèrent des signes de contrariété évidents. Tonton Gilbert levait les bras au ciel, Tata Michèle ramassait au sol des branches brisées. De mon côté, je menai mon enquête dicrètement. Je goûtai quelques prunes écrasées par terre, le  moindre renseignement pouvant être précieux. Si j’avais pu interroger les voisins ! Ils n’étaient pas loin, je les entendais aboyer depuis mon arrivée. Avaient-ils vu quelque chose de suspect ? entendu des bruits de nature insolite ? Puis, Tonton Gilbert nous mena jusqu’au potager. Et là, horreur ! Deux pieds de courgette avaient été enlevés ! Tata Michèle désignait l’endroit d’où les courgettes avaient disparu, la colère faisait trembler son doigt, pointé comme celui d’un justicier. Le trou béant figurait le vide existentiel des léguminae. C’était triste à pleurer. Par empathie, j’imaginai un champ de croquettes ravagé. Une larme perla. Mam’hum resta bouche bée. Je fis le tour des melons pour voir ça de plus près. Ceux-ci aussi avaient souffert. Quant aux tomates, elles semblaient indemnes tout comme les haricots. Le sinistre était grave certes, mais pas irréparable, avais-je envie de dire. Puis le doute s’insinua. Quel canidé normalement constitué ravagerait un potager ? Sans détester les légumes, nous ne sommes pas des herbivores. Un chien bio alors ? – faisant ses courses à la Roulotte, nourri au lait de soja et aux graines de luzerne ? Je n’y croyais guère. Ce même chien se serait de surcroît attaqué aux fruitiers avec cette fureur ? Car le spectacle ne laissait aucune ambiguïté : ce n’était pas les geais – tout d’abord injustement incriminés – qui avaient déchiré les filets recouvrant les pommiers, ni les hérissons qui avaient gratté les troncs avec une telle force, ni les mulots qui avaient laissé les noyaux ! Non, cela ne cadrait pas. Progressivement le profil psychologique que j’élaborais me rapprochait de la vérité : il s’agissait d’un monstre…D’un monstre nocturne, puissant, hargneux. Mon échine frissona. Puis le déclic se fit. Pauvre de moi, il s’agissait d’un SANGLIER ! Je fis volte-face et courus vers la maison mettre à l’abri un petit chiot à peine sorti des jupons de sa Mam’hum. C’est en vertu du principe de précaution que la sécurité de tous y gagne un peu tous les jours, non ? Une fois en haut, loin du verger et à des années lumière du potager, je m’assis pour reprendre mes esprits. Que projetait exactement Tonton Gilbert ?










mercredi 5 octobre 2011

Le journal de Tempo n°4, chronique d'un chien presqu'humain

27 juin
J’ai suggéré un peu hâtivement de remplacer violoniste par archétiste. Je n’en ai pas mesuré toutes les implications. Grammaticales, tout d’abord. Si nous changeons violoniste pour archétiste, en toute logique le mot violon subit même transformation. Et c’est là que des obstacles apparaissent, d’ordre pratique, cette fois. Voyez-vous-même. Primo, l’expression populaire « Autant pisser dans un violon ! » devient « Autant pisser dans un archet ! ». Je suis perplexe, car si la réussite était déjà fort aléatoire, elle me paraît là carrément compromise. Deuxio, « Les sanglots longs des vi-o-lons de l’automne bercent mon cœur monotone » dit Verlaine. Or, qui croiraient aux sanglots longs des archets ? sans liquide, sans cette fameuse « diérèse » que les candidats au bac espèrent dûment placer ? Et si pour rétablir les pieds, nous tentons, sanglots longs des arch-i-ers, l’effet est lamentable pour cause de poésie ruinée, vous en conviendrez. Mais poussons plus loin notre analyse lexicale :
« Accordez vos violons » entend-on dire souvent. « Accordez vos archets » alors ? Gênant, vu que les baguettes ne s’accordent pas. On les tend et on les collophane, voilà tout ( on en joue évidemment ! mais la question n’est pas là…) . Essayons toujours. « Tendez vos archets » ?? « Frottez votre collophane » ??? Je ne sais qu’en penser. Un peu intello, non ?
Le dictionnaire cite aussi violon, terme argotique pour prison. Dans les polars d’Audiard, le malfrat, Jean Gabin par exemple, dit : « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer au violon !!! » Avec violon, notre Gabin, la bouche de travers, il roule des yeux sur le o, sur le on ; avec violon, il tance le gars, on a la frousse, quoi ! Après substitution -: « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer à l’archet  !!! » vient comme un cheveu dans la soupe, on y comprend goutte.
Quant au fameux « violon d’Ingres » de tous les amateurs : il était cultivé pour le plaisir ? il le sera pour le devoir. On lui reconnaissait des ambitions modestes, on le punira de toute médiocrité. Il suivait le rythme du dilettantisme, il se paluchera méthodiquement les degrés du Sevcik opus 2 part 2, après avoir médité l’introduction : «  Die Anzahl der möglichen Kombinationen von Stricharten und Bogenführungen inst unbegrents » trad. : « le nombre de combinaisons possibles des tenues d’archet et des formules de coups d’archet est INFINI ». Infini !? unbegrentz ! encore plus déprimant en allemand. De fait, le recueil présente sur la seule première étude, cent cinq coups d’archet différents, cent cinq occasions de s’arracher les crins. Personnellement, en perspectives d’exercices de ce genre à l’infini, j’abandonnerais illico mon hobby.

En raison de quoi je demande l’amendement de ce projet ridicule de rectifications de la langue française, son instigateur étant purement et simplement un inconscient.


27 juin toujours
Souvent, le jour du bain est réservé un jour de semaine, un peu comme le jour de la lessive de l’ancien temps. Tous les mercredis par exemple, je plongerais allègrement pour me savonner. Je pourrais l’anticiper, m’y préparer le poil en quelque sorte, et profiter pleinement des dernières heures bénites où se complaire dans la saleté est toléré. En prévision de ma pureté future, le plaisir de la fange en serait dupliqué. Hélas, dans ma meute famille, le bain n’est point chose fixe. Il est inattendu. A tout moment, le bain peut se présenter : le matin, l’après-midi, le soir. Même le dimanche, le bain s’est déjà vu. Je ne critique pas, non, d’autant que les humains sont bien inégaux devant le sens de l’organisation, sans rien pouvoir y changer. Seulement, cette improvisation est facteur de perturbations. C’est qu’à 5 mois, le chiot a besoin de ses repères comme le navire a besoin de ses  balises en haute mer ! Alors que là, je tangue, je roule et je gîte, au gré des vents imprévisibles de la propreté. Cela dit, j’ai développé une sorte de sixième sens. Cette capacité conjugue observation, attention, flair. Je ne suis donc pas complètement démuni. La grande prêtresse du bain est ma maman humaine. La première chose à faire est donc de se concentrer sur les manipulations de serviettes. Je me poste aux endroits stratégiques : la machine à laver, le placard de la salle de bain, l’étendoir extérieur, le tancarville, accessoirement devant la corbeille du repassage – bien que cette coutume traditionnelle ait pratiquement disparue dans ma meute famille. Jusque là, rien de bien difficile. L’air de rien, insouciant des tribulations humaines, j’enregistre les allers et venues maternelles. La confusion avec les préparatifs d’une sortie-plage est impossible car dans ce cas, on me met la laisse. Or, jamais humain ne prendrait son bain, ceinture conservée. Quand Maman hum’. ( apocope de familiarité que je m’acorde ici ) sort le shampoing, je suis bon. Aïe, aïe, je me dis. J’attends une seconde, deux secondes, rarement plus. « Tempo ! Viens mon petit poulélou ! » La porte de la salle de bain s’ouvre. Papa hum’ rapplique. Cueillette file. Maman hum’ se rapproche. Pressentant l’irréparable, je me couche fissa, effondré par un réflexe de sidération, atavisme de la race. Le cœur battant, j’attends. Comme vous voyez, je ne suis pas chiot à m’esquiver. Je sais faire face. « Allez, petit Tempo, au bain ! » Pas d’erreur, c’est mon tour. J’espère encore. Je rentre la tête entre mes pattes, j’escamote le relief, corps applati, vaincu. «  Allez, ne fais pas le bête ! » Mais que pourrais-je faire d’autre ? « Allez, viens mon joli Tempounet...» Papa hum intervient. Un sourcil tremble. « Allez, hop ! hop ! hop ! » ils frappent à présent dans leurs mains, en cadence, militaires. Tant de bonne volonté viendrait à bout des plus retors, je m’incline : je me lève. Le coeur lourd cependant, j’emboîte le pas à Mam’ et Pap’ hum’. Quand la procession arrive à son terme, j’ai définitivement renoncé à mes effluves personnelles. Je récite mentalement le « Donnez-nous notre bain quotidien » de circonstance, histoire de me donner du cœur au ventre puis d’un geste paternel, Papa hum’, torse nu, me soulève et me dépose, sacrifié au fond de la baignoire. Puis, chacun joue sa partition : qui de règler les flux de chaud et de froid, qui de déboucher le flacon ; qui de tester la tièdeur du jet, qui de déplier les serviettes ; etc. Je reçois enfin la douche, mitigé, comme un robinet. C’est trop CHAUD !!! J’esquisse un mouvement de côté pour signifier de réviser la procédure. Au secours, je me NOIE !!! On me frictionne le dos. NOOON, ça pique ! on me frotte les pattes. Aïe ! on s’insinue dans mes oreilles. A l’aide, je veux sortir d’ici !!! on me bouche les yeux. PITIE ! Pitié ! on m’décape, on m’rabote, on m’ponce, on m’cure ; en un mot comme en dix - Que n’ai-je tant souffert pour vivre cette infamie ? - on me TORTUUUUURE ignominieusement !!!!
( La suite a été censurée eu égard à la protection des mineurs et des esprits sensibles )

Au bout de longues minutes hygiéniques, je sors du bain, miraculé immaculé.
Au bout de longues heures mystiques, je réapparais parmi les vivants, pimpant, tel un premier communiant.
Aurais-je droit à une p’tite croquette ???

Rassurez-vous, je ne suis pas victime de mauvais traitements. Bien au contraire, les tendresses infinies de mes parents hum, leur patience et leurs ruses aussi me mettent progressivement en confiance. Le bain est de moins en moins redouté. Et puis Maman hum sait traiter les choses suivant un mode global : ma vaisselle et mes jouets sont du coup nettoyés le même jour et surtout, comble de la délicatesse, Terrinou subit le même sort. Terrinou est ma peluche, mon objet transitionnel selon Winnicott. Il s’agit d’un lapin mâle, à poil ras, sable, un peu comme moi. Très coopératif, il est le confident, le compagnon de fortune et d’infortune, l’adversaire auquel on se mesure, le putsching ball docile. Je le traîne absolument partout. Il se salit beaucoup. D’où bain. Lui, est lavé en machine à laver, honneur insigne que je ne connais pas. A 30 degrés, non repassable, mon terrinou tourne derrière le hublot : mousser, rincer, mousser, rincer. L’essorage est grandiose. Terrinou, 1400 tours dans l’estomac, est plaqué aux parois ; de minces filets d’eau comme sur le pare-brise d’un bolide, filochent sous la force centrifuge ou centripète ; médusé, je regarde les rigoles se transformer en figures du bestiaire médiéval. Mais tout à coup le tambour s’emballe, un balourd cogne, je me recule d’instinct. Ubi mon Terrinou ? (pour les non latinistes : où mon Terrinou ? ) Quand les sens trompent, la raison demeure : Terrinou est intra, forcément. Mi rassuré cependant, je reste là, prêt à faire intervenir les pompiers si l’aventure tournait mal. Enfin, tiré de son expérience newtonnienne - soupir du programme - mon alter ego me revient, le poil au peu hirsute, mais avec une allure de lavandière. A cheval sur deux fils à linge, à présent il sèche, luttant contre le vertige, moi dessous sinon ce serait le vide.

Plus tard
Comme je viens tout juste d’ingurgiter mes croquettes « premier âge, destinées à la croissance harmonieuse du chiot », je me dis qu’il est grand temps de vous présenter davantage ma meute famille. Pap’ hum’ porte des épaulettes, Pap’ hum transporte des documents importants dans une serviette. Y toucher exposerait à la punition suprême : l’isolement. Dieu m’en garde ! Quand Pap ‘hum’ est fatigué, les épaulettes piquent du nez vers l’avant sous le poids des responsabilités. Parfois le téléphone sonne : c’est la capitainerie ! Tout le monde, surpris par la sonnerie, s’arrête de respirer et toutes affaires cessantes me voilà relégué à la cuisine, éloigné du QG, tenu à l’écart des hautes affaires du gouvernement. Car à n’en pas douter, Pap’ hum’ est au service de l’Etat Central, sens du devoir et intégrité figurent comme deux traits obliques en bleu blanc rouge sur sa carte d’identité. Pap’ hum’, rassemble son sang froid, décroche le combiné : « Commandant B…, oui j’écoute ! » Oh !!! Commandant !!!
Tapi sur le tapis, d’un bond je me relève, torse bombé sous une rosette imaginaire, je file dans le jardin, réunir mon artillerie. Terrinou, au rapport ! Cueillette, au Q.G. ! et tandis qu’ordres et contre-ordres se succèdent en vue de grandes manœuvres, le Commandant Pap’ hum’ rejoint notre campagne militaire. Il me lance un bâton. A l’attaaaaaque !!! Je me rue sur le projectile, évite de justesse un dérapage sur le dallage, et dans un nuage de poussière, parviens à immobiliser l’attaquant de mes deux pattes avant. Ouf ! « Situation maîtrisée, mon Commandant ! », je crie à l’adresse de tout le quartier. Bien sûr nous simulons, nous sommes dieu merci en temps de paix et plus que tout attaché à régler les litiges autrement qu’en jouant au petit soldat. Ainsi, au contact de Mam’ hum’, nous apprenons Cueillette et moi à régler nos différents par la médiation. Mam’ hum nous place face à face, introduit la séance par un petit laïus ésotérique puis nous engage à confronter nos points de vue. De nombreuses querelles ayant trait à de banales rivalités fraternelles ont ainsi été soldées.
Mam’ hum’ elle travaille à son bureau. Je ne comprends pas exactement ce qu’elle fait mis à part burotter – activité générique exercée dans un bureau. Le séjour m’y est interdit, preuve que je suis encore trop petit.
Une autre fois, je vous présenterai ma meute famille élargie. J’investigue hardi petit en ce sens. Pour plus d’objectivité et de rigueur journalistique, je fais passer ce questionnaire, en amont de mon récit. Merci de le renseigner le mieux possible.





  1. Quelle est votre devise dans la vie ?


  1. Que pensez-vous des pensions pour chiens ?


  1. Etes-vous favorable à ce projet de loi en vue d’interdire la libre circulation des chiens dangereux ?



  1.  Etes-vous favorable aux croquettes allégées ?



  1. Trouvez-vous normal qu’on mette un chien à la laisse toute la journée?



  1.  Suis-je vraiment le plus beau toutou du monde comme le dit mam’ hum ?



  1. En l’absence de ma meute famille, seriez-vous prêt à m’accueillir ?



  1. A quoi jugez-vous l’intelligence d’un animal en quelques secondes ?



  1. Et pour les candidats au Brevet, en option : le chat est indépendant, le chien plus dépendant de ses maîtres. Vrai, faux ? Dissertez…


Merci de retourner ce questionnaire dûment renseigné à « Tempo le journaliste » pour le 10 juillet, délai de rigueur. Notez son adresse électronique : tempo.potin@waouwaoudoux.fr
27 juin
J’ai suggéré un peu hâtivement de remplacer violoniste par archétiste. Je n’en ai pas mesuré toutes les implications. Grammaticales, tout d’abord. Si nous changeons violoniste pour archétiste, en toute logique le mot violon subit même transformation. Et c’est là que des obstacles apparaissent, d’ordre pratique, cette fois. Voyez-vous-même. Primo, l’expression populaire « Autant pisser dans un violon ! » devient « Autant pisser dans un archet ! ». Je suis perplexe, car si la réussite était déjà fort aléatoire, elle me paraît là carrément compromise. Deuxio, « Les sanglots longs des vi-o-lons de l’automne bercent mon cœur monotone » dit Verlaine. Or, qui croiraient aux sanglots longs des archets ? sans liquide, sans cette fameuse « diérèse » que les candidats au bac espèrent dûment placer ? Et si pour rétablir les pieds, nous tentons, sanglots longs des arch-i-ers, l’effet est lamentable pour cause de poésie ruinée, vous en conviendrez. Mais poussons plus loin notre analyse lexicale :
« Accordez vos violons » entend-on dire souvent. « Accordez vos archets » alors ? Gênant, vu que les baguettes ne s’accordent pas. On les tend et on les collophane, voilà tout ( on en joue évidemment ! mais la question n’est pas là…) . Essayons toujours. « Tendez vos archets » ?? « Frottez votre collophane » ??? Je ne sais qu’en penser. Un peu intello, non ?
Le dictionnaire cite aussi violon, terme argotique pour prison. Dans les polars d’Audiard, le malfrat, Jean Gabin par exemple, dit : « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer au violon !!! » Avec violon, notre Gabin, la bouche de travers, il roule des yeux sur le o, sur le on ; avec violon, il tance le gars, on a la frousse, quoi ! Après substitution -: « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer à l’archet  !!! » vient comme un cheveu dans la soupe, on y comprend goutte.
Quant au fameux « violon d’Ingres » de tous les amateurs : il était cultivé pour le plaisir ? il le sera pour le devoir. On lui reconnaissait des ambitions modestes, on le punira de toute médiocrité. Il suivait le rythme du dilettantisme, il se paluchera méthodiquement les degrés du Sevcik opus 2 part 2, après avoir médité l’introduction : «  Die Anzahl der möglichen Kombinationen von Stricharten und Bogenführungen inst unbegrents » trad. : « le nombre de combinaisons possibles des tenues d’archet et des formules de coups d’archet est INFINI ». Infini !? unbegrentz ! encore plus déprimant en allemand. De fait, le recueil présente sur la seule première étude, cent cinq coups d’archet différents, cent cinq occasions de s’arracher les crins. Personnellement, en perspectives d’exercices de ce genre à l’infini, j’abandonnerais illico mon hobby.

En raison de quoi je demande l’amendement de ce projet ridicule de rectifications de la langue française, son instigateur étant purement et simplement un inconscient.


27 juin toujours
Souvent, le jour du bain est réservé un jour de semaine, un peu comme le jour de la lessive de l’ancien temps. Tous les mercredis par exemple, je plongerais allègrement pour me savonner. Je pourrais l’anticiper, m’y préparer le poil en quelque sorte, et profiter pleinement des dernières heures bénites où se complaire dans la saleté est toléré. En prévision de ma pureté future, le plaisir de la fange en serait dupliqué. Hélas, dans ma meute famille, le bain n’est point chose fixe. Il est inattendu. A tout moment, le bain peut se présenter : le matin, l’après-midi, le soir. Même le dimanche, le bain s’est déjà vu. Je ne critique pas, non, d’autant que les humains sont bien inégaux devant le sens de l’organisation, sans rien pouvoir y changer. Seulement, cette improvisation est facteur de perturbations. C’est qu’à 5 mois, le chiot a besoin de ses repères comme le navire a besoin de ses  balises en haute mer ! Alors que là, je tangue, je roule et je gîte, au gré des vents imprévisibles de la propreté. Cela dit, j’ai développé une sorte de sixième sens. Cette capacité conjugue observation, attention, flair. Je ne suis donc pas complètement démuni. La grande prêtresse du bain est ma maman humaine. La première chose à faire est donc de se concentrer sur les manipulations de serviettes. Je me poste aux endroits stratégiques : la machine à laver, le placard de la salle de bain, l’étendoir extérieur, le tancarville, accessoirement devant la corbeille du repassage – bien que cette coutume traditionnelle ait pratiquement disparue dans ma meute famille. Jusque là, rien de bien difficile. L’air de rien, insouciant des tribulations humaines, j’enregistre les allers et venues maternelles. La confusion avec les préparatifs d’une sortie-plage est impossible car dans ce cas, on me met la laisse. Or, jamais humain ne prendrait son bain, ceinture conservée. Quand Maman hum’. ( apocope de familiarité que je m’acorde ici ) sort le shampoing, je suis bon. Aïe, aïe, je me dis. J’attends une seconde, deux secondes, rarement plus. « Tempo ! Viens mon petit poulélou ! » La porte de la salle de bain s’ouvre. Papa hum’ rapplique. Cueillette file. Maman hum’ se rapproche. Pressentant l’irréparable, je me couche fissa, effondré par un réflexe de sidération, atavisme de la race. Le cœur battant, j’attends. Comme vous voyez, je ne suis pas chiot à m’esquiver. Je sais faire face. « Allez, petit Tempo, au bain ! » Pas d’erreur, c’est mon tour. J’espère encore. Je rentre la tête entre mes pattes, j’escamote le relief, corps applati, vaincu. «  Allez, ne fais pas le bête ! » Mais que pourrais-je faire d’autre ? « Allez, viens mon joli Tempounet...» Papa hum intervient. Un sourcil tremble. « Allez, hop ! hop ! hop ! » ils frappent à présent dans leurs mains, en cadence, militaires. Tant de bonne volonté viendrait à bout des plus retors, je m’incline : je me lève. Le coeur lourd cependant, j’emboîte le pas à Mam’ et Pap’ hum’. Quand la procession arrive à son terme, j’ai définitivement renoncé à mes effluves personnelles. Je récite mentalement le « Donnez-nous notre bain quotidien » de circonstance, histoire de me donner du cœur au ventre puis d’un geste paternel, Papa hum’, torse nu, me soulève et me dépose, sacrifié au fond de la baignoire. Puis, chacun joue sa partition : qui de règler les flux de chaud et de froid, qui de déboucher le flacon ; qui de tester la tièdeur du jet, qui de déplier les serviettes ; etc. Je reçois enfin la douche, mitigé, comme un robinet. C’est trop CHAUD !!! J’esquisse un mouvement de côté pour signifier de réviser la procédure. Au secours, je me NOIE !!! On me frictionne le dos. NOOON, ça pique ! on me frotte les pattes. Aïe ! on s’insinue dans mes oreilles. A l’aide, je veux sortir d’ici !!! on me bouche les yeux. PITIE ! Pitié ! on m’décape, on m’rabote, on m’ponce, on m’cure ; en un mot comme en dix - Que n’ai-je tant souffert pour vivre cette infamie ? - on me TORTUUUUURE ignominieusement !!!!
( La suite a été censurée eu égard à la protection des mineurs et des esprits sensibles )

Au bout de longues minutes hygiéniques, je sors du bain, miraculé immaculé.
Au bout de longues heures mystiques, je réapparais parmi les vivants, pimpant, tel un premier communiant.
Aurais-je droit à une p’tite croquette ???

Rassurez-vous, je ne suis pas victime de mauvais traitements. Bien au contraire, les tendresses infinies de mes parents hum, leur patience et leurs ruses aussi me mettent progressivement en confiance. Le bain est de moins en moins redouté. Et puis Maman hum sait traiter les choses suivant un mode global : ma vaisselle et mes jouets sont du coup nettoyés le même jour et surtout, comble de la délicatesse, Terrinou subit le même sort. Terrinou est ma peluche, mon objet transitionnel selon Winnicott. Il s’agit d’un lapin mâle, à poil ras, sable, un peu comme moi. Très coopératif, il est le confident, le compagnon de fortune et d’infortune, l’adversaire auquel on se mesure, le putsching ball docile. Je le traîne absolument partout. Il se salit beaucoup. D’où bain. Lui, est lavé en machine à laver, honneur insigne que je ne connais pas. A 30 degrés, non repassable, mon terrinou tourne derrière le hublot : mousser, rincer, mousser, rincer. L’essorage est grandiose. Terrinou, 1400 tours dans l’estomac, est plaqué aux parois ; de minces filets d’eau comme sur le pare-brise d’un bolide, filochent sous la force centrifuge ou centripète ; médusé, je regarde les rigoles se transformer en figures du bestiaire médiéval. Mais tout à coup le tambour s’emballe, un balourd cogne, je me recule d’instinct. Ubi mon Terrinou ? (pour les non latinistes : où mon Terrinou ? ) Quand les sens trompent, la raison demeure : Terrinou est intra, forcément. Mi rassuré cependant, je reste là, prêt à faire intervenir les pompiers si l’aventure tournait mal. Enfin, tiré de son expérience newtonnienne - soupir du programme - mon alter ego me revient, le poil au peu hirsute, mais avec une allure de lavandière. A cheval sur deux fils à linge, à présent il sèche, luttant contre le vertige, moi dessous sinon ce serait le vide.

Plus tard
Comme je viens tout juste d’ingurgiter mes croquettes « premier âge, destinées à la croissance harmonieuse du chiot », je me dis qu’il est grand temps de vous présenter davantage ma meute famille. Pap’ hum’ porte des épaulettes, Pap’ hum transporte des documents importants dans une serviette. Y toucher exposerait à la punition suprême : l’isolement. Dieu m’en garde ! Quand Pap ‘hum’ est fatigué, les épaulettes piquent du nez vers l’avant sous le poids des responsabilités. Parfois le téléphone sonne : c’est la capitainerie ! Tout le monde, surpris par la sonnerie, s’arrête de respirer et toutes affaires cessantes me voilà relégué à la cuisine, éloigné du QG, tenu à l’écart des hautes affaires du gouvernement. Car à n’en pas douter, Pap’ hum’ est au service de l’Etat Central, sens du devoir et intégrité figurent comme deux traits obliques en bleu blanc rouge sur sa carte d’identité. Pap’ hum’, rassemble son sang froid, décroche le combiné : « Commandant B…, oui j’écoute ! » Oh !!! Commandant !!!
Tapi sur le tapis, d’un bond je me relève, torse bombé sous une rosette imaginaire, je file dans le jardin, réunir mon artillerie. Terrinou, au rapport ! Cueillette, au Q.G. ! et tandis qu’ordres et contre-ordres se succèdent en vue de grandes manœuvres, le Commandant Pap’ hum’ rejoint notre campagne militaire. Il me lance un bâton. A l’attaaaaaque !!! Je me rue sur le projectile, évite de justesse un dérapage sur le dallage, et dans un nuage de poussière, parviens à immobiliser l’attaquant de mes deux pattes avant. Ouf ! « Situation maîtrisée, mon Commandant ! », je crie à l’adresse de tout le quartier. Bien sûr nous simulons, nous sommes dieu merci en temps de paix et plus que tout attaché à régler les litiges autrement qu’en jouant au petit soldat. Ainsi, au contact de Mam’ hum’, nous apprenons Cueillette et moi à régler nos différents par la médiation. Mam’ hum nous place face à face, introduit la séance par un petit laïus ésotérique puis nous engage à confronter nos points de vue. De nombreuses querelles ayant trait à de banales rivalités fraternelles ont ainsi été soldées.
Mam’ hum’ elle travaille à son bureau. Je ne comprends pas exactement ce qu’elle fait mis à part burotter – activité générique exercée dans un bureau. Le séjour m’y est interdit, preuve que je suis encore trop petit.
Une autre fois, je vous présenterai ma meute famille élargie. J’investigue hardi petit en ce sens. Pour plus d’objectivité et de rigueur journalistique, je fais passer ce questionnaire, en amont de mon récit. Merci de le renseigner le mieux possible.

 1. Quelle est votre devise dans la vie ?



  1. Que pensez-vous des pensions pour chiens ?


  1. Etes-vous favorable à ce projet de loi en vue d’interdire la libre circulation des chiens dangereux ?



  1.  Etes-vous favorable aux croquettes allégées ?



  1. Trouvez-vous normal qu’on mette un chien à la laisse toute la journée?



  1.  Suis-je vraiment le plus beau toutou du monde comme le dit mam’ hum ?



  1. En l’absence de ma meute famille, seriez-vous prêt à m’accueillir ?



  1. A quoi jugez-vous l’intelligence d’un animal en quelques secondes ?



  1. Et pour les candidats au Brevet, en option : le chat est indépendant, le chien plus dépendant de ses maîtres. Vrai, faux ? Dissertez…


Merci de retourner ce questionnaire dûment renseigné à « Tempo le journaliste » pour le 10 juillet, délai de rigueur. Notez son adresse électronique : tempo.potin@waouwaoudoux.fr