La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

lundi 12 septembre 2011

Le journal de Tempo n°1


 
Avant
Le 20 mars très exactement, jour du printemps, j’ai été adopté par ma « meute-famille » d’accueil. J’avais deux mois à peine, cette précision étant été donnée par la suite par mon vétérinaire traitant. Je ne peux en effet me prononcer avec certitude sur la question, mes souvenirs de prime enfance s’estompant peu à peu. Seule l’image de mon frère me reste en mémoire, compagnon de jeu de courte durée. Il m’empêchait de manger, cela en revanche ne peut s’oublier.
Ce jour là, alors que je réfléchissais à un destin incertain, me sont apparus deux humains surgis d’un énorme 4X4 – je reviendrai sur cette espèce qui ne m’inspire pas une grande confiance. Ces deux individus – l’un de sexe féminin, l’autre de sexe masculin – m’ont désigné de la tête sans aucune forme de préavis. J’eus l’impression fugitive qu’ils me connaissaient déjà. Il fut ensuite question d’une photo, punaisée à la station essence, sur laquelle j’apparaissais « adorable petit chiot ». Je confirme : je suis encore un adorable petit chiot de 4 mois et demi, âge auquel j’entame ce récit. Bref, après conciliabule entre humains, pendant lequel j’eus le net pressentiment que quelque chose de définitif se préparait, ce qui allait devenir à jamais «  ma maman humaine » me saisit de terre promptement et fermement et me blottit dans ses bras. La sensation fut d’abord désagréable : cette ascension rapide m’avait presque incommodé. Puis, je fus de suite conquis par sa voix, aux inflexions douces et variées. De même pour ses mimiques faciales : on lisait à livre ouvert dans cette âme humaine, par définition impénétrable pour ma race. Je sus immédiatement qu’une vie nouvelle commençait.
Je quittai donc mon frère de sang ma meute famille d’accueil par interim, et, toujours au creux des bras de ma maman humaine, montai dans l’énorme 4X4 abordant ispo facto des horizons nouveaux dans un bruit et un tremblement de fanfare…
L’arrivée fut intéressante. D’autant que je m’en souvienne, j’ai longuement hésité à m’installer sous un bahut rassurant et au beau milieu d’un tapis de corde bien isolant, les deux se partageant deux propriétés, normalement associées. Ce n’était pas le cas, il me fallait choisir entre tranquillité et confort. C’est là qu’on voit l’écart entre l’humain et le chien, lequel placerait le tapis sous le bahut tout bonnement. J’optai pour une troisième voie : un pipi sur le carrelage. Quoi qu’il fût selon les spécialistes, miction de territorialisation, manifestation anxieuse ou encore tentative de domination, je sentis dans la meute famille une réaction mitigée, de contrariété et de bienveillance à la fois. Les choses allaient se clarifier très vite et la contrariété l’emporter.
Ce soulagement – impératif autant physiologique que psychologique je le reconnais – me prédisposait à l’assoupissement : mes pattes faiblissaient, mes yeux papillotaient et mon odorat saturait. Je sombrai rapidement dans un sommeil réparateur, encore attentif à ce qui se disait sur moi.
Ainsi, mon papa humain qui jusqu’alors m’avait peu approché, hasarda une caresse sur une patte antérieure. L’intention était louable ; le résultat, discutable. Mais je n’aurais pas l’ingratitude de lui en tenir rigueur , j’appris à cet instant que « j’étais son premier chien », formule qui me laissa perplexe. Ma maman humaine, beaucoup plus expérimentée, entreprit pour l’occasion le récit de précédentes adoptions par alliance, récit que je trouvai légèrement déplacé mais dont je compris aussi tout le caractère pédagogique : son congénère s’en trouva de suite rasséréné ; je serais entre bonnes mains… Puis tout s’obscurcit, je dormis.

Le lendemain, on me plaça dans un panier destiné au transport du bois me semble-t-il ; il me servirait de couffin. Un panier à chien m’eut semblé plus adapté puisque je n’étais ni une bûche ni un bébé mais je n’osai imposer mes vues d’autant que symboliquement l’objet était parfait : je dormais comme une souche 20 heures par jour et mignotais comme un bébé. Ce périmètre restreint suffisait à une exploration prudente, mon pas étant encore mal assuré. A la faveur de déplacements, aéroporté dans mon panier, je découvrai d’autres horizons : le bureau de ma maman humaine, son salon de musique. Dans le premier, le papier éjecté par l’imprimante me ravissait ; dans le second, me pelottonner entre ses pieds, elle, jouant de son violon, moi, espérant les ultrasons, était charmant.

Je m’habituai progressivement aux croquettes « premier âge », sans nostalgie aucune pour le lait maternel dont je fus sevré brutalement. On m’avait abandonné tout petit, je serais résilient ! Je mis donc un point d’honneur à me faire les dents sur cette nourriture de grand. C’est ainsi que le 22 mars, à la visite médicale, le pèse-chiot inscrit : 3,7 kg, mesure qui fut immédiatement consignée dans mon carnet de santé. Le pire restait à vivre : la vétérinaire me tripota, me piqua, me palpa et me traita de douillet pour finir. Je tombai de la table, sans chiquet. La chute fut rude mais l’honneur sauf. Caresses et autres douceurs furent ma récompense.
Je sortis de là, immunisé.

Le 23 mars, je compris enfin que Cueillette était le chaton de la meute famille, autrement dit, ma grande sœur. J’y reviendrai, les occasions de l’associer ne manquent pas.

L’apprentissage de la propreté se fit dans des circonstances très particulières et bucoliques. Nous étions partis dans l’extrême-sud corse. Ce jour-là, nous avions fait une traversée très mouvementée vers la Sardaigne et la traversée de retour dans la foulée. Y-avait-il un rapport entre toute cette eau écumeuse et mes modestes vidanges ? Je l’ignore, toujours est-il que je decidai de passer la nuit sans. Cela dit, nous logions dans une niche sans commune mesure avec la niche habituelle. Non pas en dur mais en toile, et d’une superficie à peine plus grande que mon tapis. Une fine cloison me séparait de mes maîtres que j’aurais volontiers rejoint si n’étaient les incitations répétées de ma maman humaine à me calmer, laquelle partageait en son for intérieur la même excitation. L’analyse de la situation fut rapide : trop peu d’espace n’autorisait ce genre de choses sans s’avilir, je ne l’envisageais même pas. C’est donc stoïque et dans l’intimité de mes maîtres que j’abordai cette nuit initiatique. Par chance, les nuits au camping sont courtes, je fus levé à l’aube par une maman humaine, fière du dernier-né de sa meute-famille. Puis, la vie reprit sont train train quotidien.

6 juin peut-être, je n’ai pas grande notion du temps
Je passe la journée en grande partie dehors à explorer les alentours avec une grande rigueur. Tout tuyau, asperseur, goutteur et tubulure a passé sa visite de conformité : je suis donc en mesure de confirmer que tout fonctionne à merveille ; pourtant  maman humaine trouve nécessaire de remplacer ce que j’ai testé justement avec le plus grand sérieux… Sinon, je cavale, caracole et gambade dans les talus, sur les traces de Cueillette ou celles d’un papillon, sachant me rendre utile quand il le faut. Ainsi, je suis très doué pour le desherbage. J’y mets tout mon cœur et mes dents de lait. Je ramasse aussi les balles de ping pong, taille les rosiers, déterre, ensable, creuse et recreuse. Je fais tout ça inné. Parlons à présent de mes acquis. Je connais « assis » ( valeur exprimée en caresse ) , « couché » ( idem ) « pas bouger » (id). Quand je ramène une balle, la lache et met la patte sur l’avant bras de ma maman humaine, c’est mieux payé, en croquettes – deux. Si en train de jouer avec Cueillette, je reviens au triple galop à l’injonction « viens », les enchères montent : 3 croquettes et quand enfin je réussis l’exploit de rester assis devant mon bol de croquettes, sans bouger et sans broncher en attendant le fameux « allez, mange », je gagne un repas complet ! Ah j’oubliais, je réponds généralement à mon nom, sauf cas de force majeure. Je communiquerai plus tard la nomenclature des cas de force majeure au rang desquels figurent en première place Cueillette, mais nous verrons cela plus tard.
A propos de mon nom, j’ai échappé au pire. En effet, j’aurais pu m’appeler « Caillou » au motif que ma maman humaine à l’âge de 7 ans, à Espagnac Sainte Eulalie, se prit d’amitié pour un chien sans imagination qui rapportait systématiquement les cailloux qu’elle lui lançait ; la séparation fut donc un déchirement. Comment en effet renoncer à cette toute-puissance (elle ) et à cette addiction (lui ) ? Par chance, ma maman humaine est musicienne et lacanienne. Je m’appelle donc Tempo, exempt de toute mission de réparation dans le roman familial.



Un autre jour de juin
Aujourd’hui, je pèse 12 kilos ; la balance électronique terraillon est une précieuse alliée depuis que mes repas sont calculés en fonction de mon poids mais aussi de mon âge et de ma taille future. Ainsi, selon ce calcul savant, j’ai droit à une ration quotidienne de 330 grammes, pérennisant la corrélation selon laquelle plus je grossis, plus ma pâtée augmente ; je trouve cela très bien.

A part cela, je cherche mon identité. Suis-je dominant (D  au test de Campbell ), super-dominant (TD) , soumis ( S) très soumis ( TS), inhibé (I) ? La question semble d’importance. Cela me trouble. Je sais à peine que je suis chien. Mon proto-soi, insondable, me suffit.

Le lendemain, aujourd’hui en somme
Grande nouvelle : deux brillants ultrasonistes ont confirmé leur venue en aôut prochain. Ils viennent du continent et entretiennent un lien familial étroit avec ma maman humaine. Il est également beaucoup question de musique entre eux puisqu’ils partagent cette quête ( que je ne saurais que trop encourager ) de l’ultrason parfait. Moi-même je présente de grandes dispositions à l’accompagnement rythmique « au fouet » ( autre nom, plus élégant désignant la queue d’un animal ) ; je pense donc soumettre ma candidature au trio lors de notre rencontre. J’ajoute que j’ai pour ascendant direct, un célébre labrador distingué par Paté Marconi et immortalisé comme « la voix de son maître ». Je tiens de mon cher aïeul d’étonnantes capacités d’expression vocale qui ne demandent qu’à s’affirmer.

Demain : je ne peux rien en dire encore…

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