La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mardi 20 septembre 2011

Le journal de Tempo n°2, chronique d'un chien presqu'humain

15 juin
Grande nouvelle : deux brillants ultrasonistes ont confirmé leur venue en aôut prochain. Ils viennent du continent et entretiennent un lien familial étroit avec ma maman humaine. Il est également beaucoup question de musique entre eux puisqu’ils partagent cette quête ( que je ne saurais que trop encourager ) de l’ultrason parfait. Moi-même je présente de grandes dispositions à l’accompagnement rythmique « au fouet » ( autre nom, plus élégant désignant la queue d’un animal ) ; je pense donc soumettre ma candidature au trio lors de notre rencontre. J’ajoute que j’ai pour ascendant direct, un célébre labrador distingué par Paté Marconi et immortalisé comme « la voix de son maître ». Je tiens de mon cher aïeul d’étonnantes capacités d’expression vocale qui ne demandent qu’à s’affirmer.

Le lendemain
Je reviens de la plage. Je nage de mieux en mieux. Toujours très encouragé par les applaudissements de ma maman humaine, je progresse. Ensuite je me suis roulé dans le sable, sous le regard envieux de gens en maillots, ai fouiné dans le sable à la recherche de trésors olfactifs, sous le regard jaloux d’enfants tout nus. J’ai beaucoup de succès sur la plage. Auprès des membres de mon espèce comme auprès des très nombreuses familles d’accueil qui viennent en vacances ici, bien souvent sans chiens, j’ai remarqué. Ont-ils été abandonnés pour les vacances par des chiens sans cœur et sans scrupules ? J’en ai bien peur… C’est pourquoi je me montre agréable et poli lorsqu’on me sollicite. Je réponds en agitant mon fouet, en vrai toutou modèle. Maman et papa humains, en vrais maîtres modèles, me suivent des yeux, attendris, étonnés de tant d’autonomie. Une fois seulement, j’ai fait l’idiot : j’ai traversé en courant un restaurant, bousculant serveurs et chaises, caracolant entre les tables, papa humain sur les talons, maman humaine les bras au ciel… Quelle rigolade !

Un autre jour,
Aujourd’hui, je me suis horriblement ennuyé. Tout le monde était parti travailler. Alors, malgré les 35 degrés à l’ombre, j’ai entrepris de vérifier le système d’arrosage hyper sophistiqué du jardin : 4 programmateurs, quatre réseaux – deux desservant 7 asperseurs, deux autres courant dans les talus du jardin. Au total, il y a bien 100 mètres de tuyaux et au bas mot 50 goutteurs et au bout des goutteurs… des tubulures, l’équivalent de pailles pour boire un jus de fruit. Je les ai toutes testées. Il faut d’abord les détecter – elles sont souvent mi-enterrées ou maintenues par des peirres – il faut donc les mettre à jour en grattant tout autour puis il faut délicatement tirer à leur extrêmité pour les dégager de la connexion au tuyau principal. C’est fastidieux quoique exaltant. Le vrai travail commence ici ; il consiste essentiellement à mordiller. Bien sûr, sans expérience ni référence aucune, les humains s’imaginent que mordiller est seulement mordiller. Ils se trompent. L’action suggère au contraire tout un éventail de tripotage, de chiffonnage et de masticage qui trouve sa résolution dans la perforation, la déformation, ou l’abandon. C’est ouvert à cette alternative, sans préjugé ni idée préconçue qu’en ouvrier consciencieux, je suis resté connecté au réseau. En grammaire, on distingue les actions-points des actions-lignes ; mordiller, vous l’avez compris, appartient à cette seconde catégorie, et m’a pris tout l’après-midi.
On dit que je suis brisac. En 24 heures – aujourd’hui donc -  ma maman humaine a percé une canalisation d’eau d’un coup de hâche énergique, enfoncé le pare-choc du 4X4 d’un vif coup de volant, démantibulé le portail d’entrée du même vif coup de volant. On vient ensuite me reprocher de suçoter paisiblement des bouts de tuyaux ?! ( alors qu’on les laisse traîner par terre…) Franchement !

21 juin
Considérons la date comme mon anniversaire. Je crois que j’ai 5 mois. Je rêve d’une énorme croquette fourrée surmontée de 5 bougies… C’est aussi la fête des ultrasons, c’est donc un peu ma fête aussi.

22 juin
Léo, le plus jeune des ultrasonistes de la meute famille fête aujourd’hui son anniversaire. Il rêve d’une énorme croquette fourrée surmontée de 11 bougies.

23 juin
De qui est-ce l’anniversaire ? Rêvons ensemble d’une énorme croquette fourrée surmontée de… Au diable les bougies, concentrons-nous sur la croquette.

21 juin
Revenons à la date d’aujourd’hui – mon anniversaire, ma croquette - ce saut dans le temps n’étant que fictif, commandé par des instincts festifs.
Il fait une chaleur accablante, j’ai le cerveau ramolli et les pattes en shamallows. Je me traîne. De la buanderie où j’ai mes quartiers, à la cuisine où j’ai parfois mes quartiers en passant par le salon où j’ai exceptionnellement mes quartiers. Je vais, je viens, langue pendante, oreilles toutefois dressées, question de dignité. Je bois beaucoup et suivant l’adage « qui a bu aboiera », j’abois pas mal. Non pas de cet aboiement assommant de chiens délaissés en laisse, non, non. J’abois de façon engageante et décontractée. Un rien me stimule, le moindre incident relève de suite la mornitude. Pensez à Dino Buzzati – le désert du tartare – et vous aurez une idée assez juste de ma désolation. Un lézard, une ombre rare, une cloche au loin, et me voilà à en informer tout le voisinage – le plus souvent, il s’agit d’une portière de voiture, de la sirène des pompiers, d’un juron du voisin mais ne nous arrêtons pas à cela. Encore une fois j’ai les tympans sensibles et l’ambition du chien de garde. J’ai donc commencé à m’exercer, devant les placards, il faut un début à tout ; depuis, papa humain m’a décerné le titre de « chien de garde manger ». Je suis content, confirmé dans mes aspirations.
J’évoquais donc mes déplacements et les restrictions – injustes - qui les accompagnent. Avant toute chose rappelons que je descends du loup et que cet héritage me confère un certain nombre d’avantages…incisifs – si j’en juge ma dentition en comparaison de la denture des humains. ( oui, j’ai bien dit dentition pour l’animal, denture pour les humains, vous n’avez qu’à vérifier dans le dictionnaire ). Donc, le chien ou lupus sapiens sapiens, a encore tout du prédateur des origines : la puissance, la rapidité, la ruse, l’ingéniosité et j’en passe et prérogative non négligeable, une meute famille pour le servir.   Non, me dit ma maman humaine… « Assez raconté d’idioties » dixit. Mais laissons la poursuivre.
-       Tempoupou tu exagères !
-       Ouah, ouha, ououou
-       Qui c’est qui commande ici ? Lâche ce torchon ! donne.  Allez donne. Donne, j’ai dit, nom d’une pipe. DONNE ! DOOONNNNE !!!  Hein qui c’est qui  commande, nom d’un chien !…
-       Ggggrrrrhhhh !!!!!!!
-       enfin nom d’une pipe, oh ça va, mauvais caractère !!! parfaitement, c’est moi qui commande !  Donc, couché, allez, allez, allez, couché j’ai dit…. Voilà, c’est un bon chien, ça. Oh mais ça mérite une croquette, ça ! oh le gentil chien tout petit minuscule, tout petit tout doux à sa maman humaine….
-       Ouah, ouh
-       Hein mon poulélou tout beau ! hein mon mon tempounet joli
-       arrhhh.. bbbbrrrrr… waf, waf niaf…
-       pas de mordillou Tempo, gentil petit Tempo… voilà ,c’est bien, c’est très bien, ouhhhh
-       waffff
etc.

Bien, je disais que je descendais tout droit du lupus sapiens sapiens. Maman humaine a raison en m’appellant PouléLOUP. En revanche, poulet ?!!
Les humains, eux, descendent du singe. Or, les loups mangent les singes, donc les chiens mangent les humains…euh… j’ai dû m’embrouiller quelque part. Disons que dans la mesure où je suis supposé posséder un fort potentiel d’agressivité animale, cela suffit à me faire respecter. Aussi, je fais dans la sobriété. Comme la peinture chinoise, à peine suggéré, évoqué tout au plus, je grogne, pratiquement in petto. Plus que tout autre manifestation tapageuse, l’effet est radical : maman humaine et papa humain blémissent, échangent regards inquiets et remarques à voix basse et s’en vont compulser frénétiquement « Eduquer, réeduquer votre chien » à la recherche de la sanction la plus adaptée. Trop perturberait « le meilleur ami de l’homme », trop peu flipperait « le compagnon à 4 pattes ».
« Votre compagnon grogne, attention ceci est un signe de rébellion patent : resaisissez-vous, ignorez-le, punissez-le de votre indifférence, c’est le moment ou jamais de reconquérir votre pouvoir sur lui ; ne le regardez jamais dans les yeux, cela équivaudrait à le défier mais regardez son postérieur » Depuis, mes maîtres toisent mon derrière.

Un jour, on m’a amené, Tempo le terrrrrible, chez le vétérinaire pour  une « visite de comportement ». Mes maîtres voulaient l’avis du spécialiste. Bilan : je ne suis ni asociable, ni dyssocial, ni hyperactif, ni hypersensible, ne souffrant d’aucun fantasme d’abandon, de séparation et inapte à la relation fusionnelle. Je suis un chien grognon. Depuis, j’ai perdu de mon ascendant, suis moins dissuasif

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