La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mardi 14 février 2012

le journal de Tempo n°20, chronique d'un chien presqu'humain


J’en suis tout bouleversé, tout tourneboulé et tout chamboulé. Permettez-moi cette redondance un peu désuète mais c’est pour dire que le sentiment dure. En effet, j’ai reçu par wouawouadoux un mot de mes plus fidèles lecteurs, je veux bien entendu par cette périphrase flatteuse désigner mes cousins ultrasonistes.  Un mot, que dis-je ! cents mots, mille mots ( car je compte les sous-entendus que le cœur garde en réserve de peur d’éclater ), plein de gentillesses. Mais jugez par vous-même :

A l'instar de JK Rowling, vous décidez - nous lisons entre les lignes ou notre angoisse mal négociée nous trompe - de vous  taire. Haro sur cette décision unilatérale et cruelle ; nous défendrons bec et ongles notre Tempotter... Avec lui, nous perdrions un témoin ajaccien de choix, tantôt poète, tantôt philosophe qui nous renseigne tant sur la macro que sur la micro-histoire de l'ile de beauté.

Fini, les lectures tempociennes, un peu tempo tard parfois, assis tous les trois sur le canapé de la villa Curial, ou nous nous employions à nous dissimuler mutuellement nos larmes.

Un héros est propriété de ses lecteurs ; le romancier se contente de le suggérer. Non, non, et re-non !!! Nous ne voyons, quant à nous, aucune bienveillance à autoriser ce crime de lèse-majesté : "cesser de faire parler de moi"...

Dans un sursaut, nous nous disons que peut-être n'est-ce là que caprice de star, abandon de scène pour mieux mesurer l'attachement des siens ? Une RRR (réponse rapide par retour) s'impose ! .

Vos bien dévoués lecteurs.

Comme il est touchant de voir à quel point son existence est le précieux bien des siens ! Quoi de plus émouvant aussi d’imaginer ses lecteurs dans ces conditions matérielles si royales : assis sur le canapé de la villa Curial … Oh comme l’évocation a de beaux atours ! Comme il est doux de songer que les affres de la création s’achèvent là, dans le douillet de la plume, les rondeurs d’un sofa. Et c’est justice car la souffrance que nous endurons, nous, auteur, compositeur, facteur de mots, artisan de l’être, vaniteux d’entre les vaniteux qui déjà préjuge à la qualité de son petit comité de lecture familial même accueil mondial, oui ce don de la parole que nous portons tantôt comme une déformation honteuse tantôt comme un mal sournois ne peut se supporter qu’à condition de beauté et c’est là tout le bienfait d’être lu car la beauté est du côté de celui qui lit, de celui qui donne aux mots malhabiles son oreille absolu. Voyez comme c’est bien dit ( le lecteur peut relire ce passage pour en saisir toute la profondeur ). 
Encore merci mes chers petits musichiens qui me révèlent jour après jour en quelle hauteur vous me portez !... - laquelle hauteur par un effet paradoxal m’incline à l’humilité, c’est promis.
C’est donc humblement que je continuerai ce 20ème épisode, avec pour seule ambition de vous distraire sans omettre de vous instruire car l’observation de l’animal ne peut qu’éclairer vos petits esprits façonnés au tour régulier de la musique sur le fonctionnement de l’humanité. Certes, ce passage est bien dit mais fort de ma précédente résolution, je ne suggère en aucune manière au lecteur de relire ce passage pour bien en saisir la profondeur, le lecteur aura d’ailleurs compris car il est loin d’être bête, celui-là.
Et c’est là le début du talent. Ne jamais sous-estimer son lecteur. Or, cette loi souffre de nombreuses exceptions comme je vais vous le démontrer.

1. Le mauvais écrivain est celui qui prend le lecteur pour un crétin : il dit tout et c’est affligeant. Ainsi :
« La cafetière en verre pirex fumait sur la table en ébène de macassar, vernie en cabine. Les bols étaient vides. Même le sucre, encore dans le sucrier, ne venait affaiblir cette vacuité, chère aux moines chinois que l’on voit, silhouettes incertaines dans les brumes d’altitude, peintes d‘un seul coup de pinceau inspiré sur les rouleaux du 19ème dès lors on les déroule à la lumière. »
Petit commentaire de texte. La cafetière en verre pirex fumait sur la table en ébène de macassar, vernie en cabine. En quoi la cafetière fume-t-elle davantage quand elle est en pirex ? Je l’ignore. La précision est donc superfétatoire. Coupez. En quoi, la table en ébène de macassar, n’en est-elle pas moins table ? d’autant que tout le monde connaissant l’ébène l’imaginera noire cette fichue table ; or, l’ébène de macassar est un joli bois ondé aux reflets cuivres. Et là le lecteur l’a dans l’os ! Cette précision va donc à l’encontre même de l’évocation souhaitée. Coupez. Vernie en cabine : on connaît la carrosserie vernie en cabine, mais l’ébénisterie ?  Rien n’est moins sûr. Là encore, cette exactitude coûtera au lecteur moment de trouble qu’on pourrait lui épargner. Quant au sucre, on ne voit aucun rapport avec les moines, mais alors là aucun. Coupez.
Hélas, ils vont comme une nuée de sauterelles chaque année à la même époque s’abattre sur le monde de l’édition.

2. L’écrivain médiocre est celui qui prend le lecteur pour un ignorant : il dit tout ce que tout le monde sait. Ainsi :
« La cafetière fumait. Avant d’être dans le bol, le sucre était dans le sucrier. »
Petit commentaire de texte. Certes, il n’est pas inutile de rappeler qu’une cafetière n’a d’intérêt que lorsque le café est prêt, donc chaud, c’est la moindre des choses. De même, insister sur le fait que le sucre se conserve mieux dans un sucrier qu’au congélateur ou fumé au bois de hêtre évitera bien des déboires à un extra-terrestre venant d’emménager dans une kitchenette dont la valeur locative déjà estimée à 500 euros, tarif parisien, ne permet guère l’effort dispendieux du congélo. Mais la probabilité d’être lu hors la planète étant somme toute assez faible, même tiré à des millions d’exemplaires, mieux vaut à mon sens n’informer que du strict nécessaire, considérant que la plupart des terriens ont résolu la question de la conservation du sucre en se conformant aux us et coutumes locales ( le bête sucrier ). Mais cet avis n’engage que moi. Pareille analyse de texte au bac littéraire devra par conséquent être pondérée en citant la source : moi en l’occurrence.
Hélas, ils vont comme un raz de marée chaque année à la même époque inonder le monde de l’édition.

3. L’écrivain incompétent est celui qui prend le lecteur pour un naïf : il dit tout ce qu’il ignore lui-même. Ainsi :
 « La cafetière en verre pirex fumait sur la table en ébène de macassar, vernie en cabine. Les bols étaient vides. Même le sucre, encore dans le sucrier, ne venait affaiblir cette vacuité, chère aux moines chinois que l’on voit, silhouettes  incertaines dans les brumes d’altitude, peintes d‘un seul coup de pinceau inspiré sur les rouleaux du 19ème dès lors on les déroule à la lumière. »
Oui, c’est le même texte qu’en 1. Et alors ?
Mon commentaire. Etait-il certain que la cafetière soit bel et bien de marque pirex ? L’a-t-on retournée pour y lire la marque ? Et dans ce cas, que faire du café ? Se le renverser sur les genoux ? Le jeter dans l’évier ? Et si c’était de l’arcopal, hein ? Par ailleurs, a-t-on vérifié comme il se doit que l’ébéniste possède une cabine de vernissage ? L’investissement est de taille, ( ça va chercher dans les 50 000 euros ce gadget-là ) l’a-t-il porté au tableau d’immobilisation comptable ? Quelle marge bénéficiaire réalise-t-il ? Et ça sur le dos du pékin ? Justement, à propos de Pékin, pourquoi restreindre au seul périmètre de la Chine la probabilité d’apparition de silhouettes incertaines dans les brumes d’altitude ? Rien n’est moins sûr, allez sur le plateau des millevaches, et je vous fiche mon billet qu’entre le 15 novembre et le 15 mars, toutes les silhouettes, toutes, absolument toutes, naviguent parmi les brumes, alors, de qui se moque-t-on ? Je vous le demande : De qui se moque-t-on à la fin ?
Car, vous l’avez deviné le comble est évidemment atteint avec ces silhouettes justement incertaines ! M’enfin, si c’est incertain, pourquoi l’affirmer avec autant d’aplomb, au mode indicatif de surcroît ???? Le lecteur, dans sa candeur, croit certain ce qu’on lui dit ! Voudrait-on qu’il croit certain ce qui est incertain ? Comme on le voit : on s’embrouille les pinceaux ( d’où je pense cette référence au peintre ; enfin, je le subodore seulement, car encore une fois, le doute plane à des altitudes que je n’atteins personnellement que rarement. )
Hélas, ils vont comme un mal à l’issue incertaine, chaque année, à la même époque,  mais là rien n’est moins sûr, troubler un peu plus le monde ambigü de l’édition. Ambigû ou ambigü : J’hésite…Quelle certitude obtenir ? auprès de qui ? et dans quels délais ?

4. L’écrivain compétent est celui qui traite le lecteur en bon collaborateur : il dit peu, ( et c’est déjà une qualité ) comptant beaucoup sur le travail de l’autre. Ainsi :
« La cafetière en pirex sur la table en macassar, en cabine. Les bols étaient .... Même le sucre, encore le sucrier.  Ne venait affaiblir cette vacuité, oh  moines chinois, les brumes d’altitude, d‘un seul coup de pinceau inspiré les rouleaux du 19ème dès lors à la lumière. »
Mon commentaire : il serait vain de parvenir à déchiffrer ce texte au saut du lit, du beurre dans les neurones comme dans les yeux. 
Mon conseil : Deux litres de café devraient vous venir en aide. Pirex ou pas pirex, moine ou pas moine, on s’en fout.
Hélas, ils vont comme chaque, à la même, troubler le monde.

5. Enfin. L’écrivain de talent est celui qui se tait sur de tels détails insipides car l’important n’est pas là. L’important est :
 « La cafetière en verre pirex fumait sur la table en ébène de macassar, vernie en cabine. Les bols étaient vides. Même le sucre, encore dans le sucrier, ne venait affaiblir cette vacuité, chère aux moines chinois que l’on voit, silhouettes  incertaines dans les brumes d’altitude, peinte d‘un seul coup de pinceau inspiré sur les rouleaux du 19ème dès lors on les déroule à la lumière. La cafetière de Pap’hum fumait. L’hiver venait et les brumes de novembre descendaient du Vizzavona à la mer. Tempo était venu poser sa patte sur la cuisse de son maître. Le soleil parut. Une bien belle journée s’annonce, aurait dit Mam’hum, et tout le monde aurait acquiescé à tant de bonheur à vivre en 24 heures. »
Mon commentaire : cafetière, d’où hiver, d’où brume, d’où le réconfort de l’animal, d’où l’embellie, d’où Mam’hum. C’est pas compliqué.
Hélas, ils vont vainement chaque année à la même époque tenter le coup dans le monde de l’édition. Mais non.


6. Enfin. L’écrivain de génie est celui qui dit la vérité, juste la vérité. Ainsi :
« Avec Tempo, nous perdrions un témoin ajaccien de choix, tantôt poète, tantôt philosophe qui nous renseigne tant sur la macro que sur la micro-histoire de l'ile de beauté. »
Mon commentaire : continuez, continuez…
Heureusement, il vient comme un maître stimuler ma belle imagination.

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