La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

lundi 27 février 2012

Tempo cède exceptionnellement la parole aux membres de l'atelier présents lors de notre réunion-anniversaire....

 Baiser volé
- Mamina, regarde ce que je t'apporte, ta photo d'amoureux avec Grand-Père ! Tu sais où je l'ai trouvée ? Au puces. Comment se fait-il qu'elle se retrouve chez un marchand de vieilles cartes postales ?
- Tu sais, à l'époque, dans la rue, il y avait des photographes qui vous proposaient de vous tirer le portrait. Alors, on a dit oui et on s'est embrassés pour un beau souvenir. Sans doute, le professionnel a-t-il été content de son œuvre et comme il avait le négatif, il en a fait des reproductions.
- Et bien dis-donc, tu étais célèbre sans le savoir.
- Eh oui mon chéri, c'était le bon temps et ta maman n'était pas encore née. Hélas, l'amoureux de la photo nous a quittés !
Tendrement, le petit-fils console sa grand-mère et lui promet de revenir bientôt.
A quelques temps de là, il flâne dans le quartier du centre Pompidou et s'arrête devant les vitrines de souvenirs. Alors qu'il fait pivoter le tourniquet de cartes en noir et blanc sur le vieux Paris, il tombe en arrêt sur la fameuse photo, neuve cette fois, et en de multiples exemplaires. Il l'extrait du présentoir, la retourne et lit « Le Baiser de l'Hôtel de Ville », Robert Doisneau, 1950. Il l'achète et court chez sa grand-mère.
- Tu as vu, ta photo est toujours en vogue. Mais qui est Robert Doisneau ?
- Oh chéri, c'est un grand photographe et je vais t'avouer quelque chose : tu vois, la jeune fille qui passe derrière le couple, eh bien, c'est moi !
- Quoi, alors ce n'est pas toi ni Grand-Père qui vous vous embrassiez ?
- Non. Mais ces amoureux nous ressemblaient et ils nous plaisaient tellement, qu'on s'est identifiés à eux, c'était comme un jeu et finalement, on a fini par y croire nous-mêmes.
- Quelle cachotière tu fais !
De retour chez lui, le garçon recherche Robert Doisneau sur internet et apprend que ce cliché, légendaire, s'est vendu dans le monde entier à plus de 400 000 exemplaires. Et même, qu'un couple  a prétendu s'être reconnu. A tort, Doisneau ayant remis la photo aux modèles. Les jeunes, de vrais amoureux, avaient posé car l'artiste n'aurait jamais osé les saisir sans leur demander leur avis. La vie les avait séparés et 40 ans plus tard, ils se sont retrouvés quand il a fallu démasquer l'imposture. Enchanté de l'histoire, le garçon achète un immense poster du « baiser » et l'offre à sa grand-mère :
- Tiens Mamina, tu l'as bien mérité car toi, au moins, tu es sur la photo !
 Françoise G.


Tableau perdu
J'avais peint un tableau très coloré, spécialement conçu pour l'anniversaire de ma meilleure amie.
Je savais que celle-ci appréciait ma peinture et je souhaitais lui faire un joli cadeau pour une occasion inoubliable.
A priori, elle fut agréablement surprise et exposa immédiatement mon oeuvre dans son salon.
Puis, un jour elle déménagea et je ne vis plus le tableau dans son nouveau nid.
J'ai pensé qu'elle l'avait oublié dans un des nombreux cartons qui n'avaient pas été vidés.
Un dimanche ensoleillé, je décide de faire une promenade à la brocante, je cherche, je fouine, et je remue de nombreux objets en quête d'un cadre ancien.
Je remarque une pile de toiles amoncelées dans un coin.
Je fouille et me dis que si je ne trouve pas de cadre, je vais peut-être trouver un tableau magnifique.
Et, surprise, je trouve au milieu de ce tas, mon joli cadeau oublié, abandonné et perdu.
Je me sens trahie et déçue par cette amie que je pensais fidèle.
Pourquoi s'était elle débarrassée de cette toile qu'elle semblait apprécier?
Par manque de place pour l'exposer?
Par indifférence pour mon talent?
Je me posais tant de questions et ne trouvais pas de réponse.
J'avais le tableau dans les bras quand un passant s'approcha et m'en demanda le prix.
Je lui répondis que je n'étais pas la vendeuse mais plutôt l'acheteuse de cet objet.
Déçu, il insista, m'arracha le tableau des mains et l'inspecta curieusement.
Je dois absolument acheter ce tableau me dit-il, voulez-vous bien me le céder?
Je lui demandais la raison de ce choix, et surprise, j'appris qu'il avait trouvé ce tableau oublié au fond d'un carton, près des poubelles, il voulait le récupérer car la toile appartenait à son amie, mais étant pressé, il ne l'avait pas prise immédiatement.
Quelques minutes plus tard, le tableau avait disparu, quelqu'un d'autre étant passé là.
Il savait que son amie tenait beaucoup à ce tableau et il voulait donc le lui restituer.
Heureuse de connaître enfin pourquoi mon oeuvre se trouvait sur cette brocante, je lui laissais acquérir le tableau perdu.
Le hasard existe-t-il vraiment ? Je me le demande encore !
Marie Madeleine


Nounours
Il faisait beau et on se bousculait presque sous les hauts platanes, le long de la mer.
Beaucoup de vendeurs avaient étalé leurs merveilles par terre, sur de vieux draps mais les plus chanceux étaient tout de même parvenus à installer leurs planches sur les tréteaux qui leur servaient de table.
Je profitais de la ballade, sans but réel quand je l'ai vu, assis là, tout seul, abandonné entre quelques poupées en costumes folkloriques défraîchis et une collection de guerriers en plastique échappés de la guerre des étoiles...Appuyé contre une cuisine complète pour la dinette,  Nounours regardait devant lui, comme s'il cherchait une connaissance dans cette foule anonyme.Des larmes de lumière brillaient dans son regard  de verre et je me suis tout a coup sentie coupable.
Quelques mois auparavant, j'avais offert  Nounours a cet infernal petit neveu qui était venu a la maison et qui avait voulu l'adopter : comment refuser ( a mon âge !) de confier un ancien jouet ! Alors j'avais grimacé un sourire hypocrite en laissant partir l'ours en peluche, mais recommandant tout de même de faire très attention car....il était vieux, et un peu abimé !
Il avait été très beau, Nounours, je m'en souviens encore : il mesurait au moins soixante centimètres et sa fourrure chatoyante était douce et soyeuse quand je le brossais avec tendresse. On avait plusieurs fois recousu ses oreilles particulièrement fragiles, mais il n'en avait pas souffert.
Aux puces ! Je n'en croyais pas mes yeux...l'ami de mon enfance, le confident de mes chagrins, celui que j'avais câliné était a vendre ! A n'importe qui, au hasard et pour  quelques centimes d'euros, des années de souvenirs allaient disparaitre.
- Un euro?
- Allez, donne-moi cinquante centimes...c'est bon
C'est dans ce marchandage que Nounours  allait finir. Ce témoin de ma propre enfance que j'avais confié à ce diable de neveu était monnayé, discuté pour quelques centimes !
Je sortais rapidement deux euros de mon sac et intervenais pour racheter la peluche sous le regard médusé du gamin qui avait fait la première offre.
Je m'emparais avec précaution de Nounours, et veillant à ne pas me faire trop remarquer par ma nouvelle acquisition, je m'éloignais sans me retourner.
Françoise M


Maille à l'endroit
Ce jour-là, je l'attendais avec plus d'impatience encore. Le matin même, j'avais terminé le dernier rang, in extrémis ; un cadeau de Noël ne pourrait souffrir d'ajournement ! m'étais-je dit. Nous étions donc le 24 décembre, la dinde était au four et le pudding, au frais, à la cave. Il arriva à 20 heures précises avec cette ponctualité des gens droits, aussi respectueux du temps des autres que du sien. J'avais déposé mon chef d'oeuvre au pied d'un sapin fictif, ostensiblement, emballé dans un joli papier avec force bolduc. Je ne pus attendre les douze coups de minuit, aussi invitai-je mon petit ami à ouvrir le paquet ayant, rang après rang, pelote après pelote, imaginé cet instant où étaient condensés mes espoirs, mon amour, ma tendresse. Précautionneusement, il ôta l'emballage. Elle était là, entre ses mains, annonçant les rigueurs de l'hiver et la douceur du confort. Immédiatement, je l'enjoignis de l'essayer, de l'inaugurer en quelque sorte et ouvris la fenêtre en grand cherchant à créer les conditions les plus réalistes qui soient afin que la sensation éprouvée le renseigne sans erreur possible sur le bénéfice qu'il allait tirer de mon accessoire. Devant le miroir du salon, il prit alors les poses du skieur, content. J'avais atteint mon objectif : il ne quitta pas mon écharpe de la soirée. Et quand il partit, je la lui nouai autour du cou avec l'affection d'une mère.
L'hiver passa entre froid et redoux, neige et pluie. Quand je voyais mon ami, je constatais avec satisfaction et fierté qu'il la portait à chaque occasion. Vint le jour, un 19 février, où je longeai les puces, empruntant ce raccourci pour rentrer chez moi. Non ce n'était pas possible !!! Sur un stand, à même le sol, parmi des vêtements usés, des tenues déformées, des fripes amoncelées, gisait mon écharpe de laine... Les gens fouillaient l'amas de vêtements, retournaient les doublures, soumettaient les étoffes à toutes sortes de manipulations ; je ne craignais qu'une chose : qu'avant même d'y parvenir moi-même, une main possessive la soulève et l'emporte contre quelques pièces. Ma crainte se doublait d'une sotte superstition : l'écharpe, ce lien entre nous, symbole de ma patience et de mon attachement ne pouvait être portée par quelqu'un d'autre sous peine de mettre en péril notre amour. J'étais bouleversée. sans trouver d'explication, j'échafaudais hypothèse sur hypothèse accusant déjà mon partenaire de s'en être débarrassé, lassé de ce noeud autour du cou. Quand, tout à coup je compris. L'homme qui tenait le stand, se retourna, je reconnus mon ami, blouson ouvert, chemise débrayée, il avait enlevé son écharpe et l'avait posée, à cet endroit-là...
Odile


La messe est dite
Hasard... Vous dites hasard... Il faudra chercher au-delà. l'au-delà des choses et leur signification profonde. Nicole, ce jour-là, désoeuvrée et un peu esseulée se perdit au marché aux puces tout proche. Le soleil était présent, la foule dense et anonyme, un milieu idéal ou noyer cette légère angoisse qui commençait à l'effleurer et qu'elle espérait piéger en faisant cet inhabituel détour par les puces. Tiens, ds bouquins... d'un regard sans conviction, elle parcourut la table, lu des titres qu'elle oublié aussitôt. Tout-à-coup, son regard s'arrêta médusé. Son coeur, lui, s'accéléra, son corps trahit une émotion que sa pensée n'avait pas encore engrangée, qu'elle se refusait à engranger. ce livre, là-bas, au bout du parcours, c'était lui. Son livre de messe ! Celui-là même que son père, il y avait quinze ans, lui avait offert pour sa communion, qu'à l'époque on appelait solennelle. Son entrée dans l'adolescence, un lieu de désir et de promesses, la vie qui s'ouvrait et...ce livre ! Que faisait-il là ? Ce n'était pas un rêve ? Elle le prit dans ses mains  tremblantes n'osant l'ouvrir... Elle attendit. Enfin, elle l'ouvrit. A la première page, il y avait un post it attaché. " A Marie-Noelle, pour sa communion, affectueusement, Jean." Ce livre, qui avait disparu de la circulation et qu'elle cherchait en vain depuis tant d'années était là. Aux puces, et à l'intérieur, la signature, au bas du post it était celle du père, son père. Il était destiné à la fille de sa maîtresse récente. Nicole ne s'en relit pas. Comment avait-elle pu oser et par ce geste avait-il pu tomber si bas ?
Marie Dominique


Perdu
C'est dimanche. Je flâne aux puces, à la recherche de je ne sais quoi. Les objets m'intéressent peu mais les livres, pourquoi pas ? Il y en aura bien un qui attirera mon attention...Hélas, la pêche n'est pas bonne ce matin, ça fait une heure que je traîne. Un dernier étal et c'est là que je retrouve une couverture familière. Les souvenirs me reviennent, notre première rencontre... La tranche un peu jaunie, tout y est, même la pliure de la couverture. Je l'ouvre et je reconnais ma dédicace sur la page de garde. Je t'avais offert A la recherche du temps perdu.  Tu n'as pas perdu ton temps pour t'en débarrasser, ni de moi, d'ailleurs, t'aurais-je fait perdre ton temps ?
Maurice



Fils de laine
Toute pleine d'un entrain enthousiaste, happée par l'appel de la brocante, armée de mon panier rose, je fais mon entrée triomphante en pays favori et jamais tout à fait conquis, les puces. Le nez au vent du bord de mer ajaccien, le coeur battant de la chasseuse-chineuse, les yeux armés de détecteurs laser, je vibrionne au milieu des mille trouvailles comme une abeille butineuse dans la ruche à miel. Tout à coup, je me fige, le vent ne souffle plus, mon coeur s'est arrêté de battre, mes ailes tombent et mes yeux se voilent : là, au milieu de tous ces trésors, de toutes ces promesses de mille et un bonheurs, je reconnais cette écharpe, la seule écharpe que j'ai tricotée dans ma vie et que j'ai recommencé avec amour plusieurs fois pour l'offrir, le coeur battant d'amour, à l'élu de mon coeur de l'époque, époque pas si lointaine vu l'étendue de la douleur assénée au creux de mon estomac. La voix enrouée, je demande en un souffle au monsieur qui la vend le prix de l'objet de mes tourments. "Oh, 5 euros, me dit-il, le monsieur  me l'a vendue 4 euros". mes jambes flageolent, les bras m'en tombent, je suis anéantie. "Mais, reprend le monsieur d'un ton pensif et rieur, vous êtes si charmante que je vous la laisse pour 2 euros e en prime, je vous invite à partager un café avec moi !" Je quitte l'écharpe des yeux pour observer mon vendeur : il est grand, la cinquantaine de beau gosse avec un sourire plein de bienveillance. Mon coeur se remet à battre doucement, mes yeux s'éclaircissent, mes jambes me portent de nouveau. D'un ton clair qui ne porte plus le voile, j'exprime avec un petit sourire : "D'accord, c'est gentil à vous." Et puis, tout à coup, dans ma tête, se dessine l'amant passé à qui je fredonne en pensée cette petite chanson : Alors, tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux, tant mieux, si tu veux pas, tant pis, j'en ferai pas une maladie...
Sandrine


Plaisir d'offrir
Ce foulard, je l'avais choisi avec soin : couleur, matière, texture. Il devait correspondre exactement à certains critères afin de provoquer une réaction particulière chez son récepteur. le récepteur en question, en l'occurrence une réceptrice, était ma belle-mère. Le cadeau fut offert le matin de Noël et provoqua comme prévu des exclamations éblouies sur mon "bon goût" et "mon aptitude à déceler ce qui fait vraiment plaisir". Le processus était enclenché. Au bout de six mois, je retrouvai le foulard en question ( pièce unique issue de l'atelier d'un créateur ) négligemment jeté sur un tas de fripes dans un vide-grenier. Un petit sourire flotta sur mon visage. le stimulus avait produit la réaction escomptée : 1.démonstration de joie hypocrite, 2. évacuation du textile détesté. Oui, ce foulard, je l'avais choisi avec soin : couleur, matière, texture à l'opposé exact de qu'aurait pu apprécier ma belle-mère. Bilan : expérience extrêmement concluante, à renouveler.
Patricia

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