La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mercredi 22 février 2012

le journal de Tempo n°21, chronique d'un chien presqu'humain


Saperli-tempo-pette ! Nous voilà bien lotis ! Le cousin Don Cristobald vient de s’installer chez Pap’hum. Et ce, au motif de la camaraderie. Laquelle camaraderie remonte à ma première croquette : au temps de leurs études ! C’est dire si ça fait une paye. L’âge, d’ailleurs, dans sa grande honnêteté a déposé de son lustre sur leur crâne respectif : et  chacun compare d’année en année, penaud, les progrès inéluctables de sa calvitie, signe attestant sans ambiguïté que la fraîcheur est bel et bien révolue ; le chien aboie, la caravane passe...
C’est pourquoi, il me semble que le prétexte d’avoir en des temps reculés partager même chambrée, même pique-nique sur un coin de table encombrée, même zéro pointé en mécanique hydraulique est un peu tiré par les cheveux, dirais-je, finement allusif. Mais bon. Tant que le cousin D.C. ( pour Don Cristobald et non Délai de Conservation, soyons charitable tout de même ), ne déplie pas sa couette dans la tempoterie, je reste neutre. Par contre, si d’aventure l’idée venait à le séduire, je saurais me faire entendre, croyez-moi… à moins d’en tirer le fructus – vu que j’en ai l’usus et l’abusus - en monnaie de croquettes sonnantes et trébuchantes. Tempo n’est pas un niais. Et j’ai le goût des affaires, des marges bénéficiaires, et pour tout dire de l’enrichissement personnel à 0 pour cent de fiscalité.
Pour l’heure, Pap’hum lui a alloué la chambre jaune, et non loué eu égard encore une fois à ce passé commun qui justifie chez l’un noble désintéressement et de l’autre, la requête. Je le déplore, Pap’ hum n’a ni le goût des affaires ni celui des marges bénéfiaires ; a-t-il seulement le goût des autres en cette période troublée ?  Mais bon, tant que Cousin D.C. ne vient dire ses prières, assis en lotus dans ma niche, je reste coi.
La chambre jaune, qui jadis, avant le départ de Mam’hum, fut salon de musique est désormais chambre à coucher. Car je ne crois pas qu’une fois déplié le canapé-lit, il soit loisible de faire sa gymnastique, de plier les draps ou de réunir une chorale pour chanter du Berlioz, d’autant que le volume de Cousin D.C. déborde largement de sa personne.  Son petit ventre replet  - qui donne le sentiment que ma foi la calvitie n’est pas si incongrue, cela dit en passant - n’a rien à voir là-dedans, je m’en défends ! Non, je veux parler des quelque cinq, six, sept… sacs poubelle d’affaires qui devancent le Cousin D.C. dans ses déménagements. En effet, Cousin D.C. a pour habitude de transporter sa garde-robe non pas dans la valise Delsey chic et sur roulettes bien graissées  mais en sacs poubelle de 50 litres. Surpris ? Quand on connaît Cousin D.C. rien n’étonne. Et je dois dire que je suis assez sensible à cette marque d’originalité ; mais où va-t-il chercher toutes ces joyeuses facéties ? La contenance de ses biens – chiches les biens, hein – représente donc, si mes calculs sont bons, deux petits mètres cubes, en sus de sa masse volumique personnelle, qu’il a fallu loger. Pap’hum, dans une générosité discutable, lui a donc attribué la penderie de Mam’hum en dépit de mes rouspétances car enfin les quelques vieilleries de la pré-citée rappellent à ceux-là qui semblent l’avoir oublié que la maîtresse des lieux est toujours là. Du moins dans nos cœurs tristes. Mais l’affaire en est restée là, je n’ai eu pour audience que ma fidèle Cueillette qui a profité du chahut général pour filer à l’anglaise dans la chambre de Pap’hum après un long bâillement de diva attrapant le contre ut. Zen attitude que j’envie parfois tout en sachant que l’action est mon mode d’existence ; au verbe faire, je me trouve sublime. Aussi, ai-je prévenu illico Mam’hum. Mais là aussi, déconvenue : Mam’hum approuve et félicite même le jeune couple ! Ne nous méprenons pas. J’emploie là cette tournure de langage, à l’imitation, voire l’encouragement, de Cousin D.C. dont l’humour a le mérite de tourner en dérision les situations les plus critiques. En effet. Oui, les plus graves, sans rien exagérer. Non, je vous assure,  car le malheur qui s’abat aujourd’hui sur notre niche, hélas trop masculine, n’a plus de commune mesure. Je résume. Si Pap’hum a perdu sa Mam’hum – sans dix retrouvé, non Cueillette, non, s’il te plaît !!! - ; Cousin D.C a perdu lui aussi sa Donna   Cristobaldine ! Total des courses : non pas une, mais deux de perdues. Bilan lourd pour une si petite niche…
C’est dire que leur décote n’est que litote. Plus prosaïquement, c’est la déconfiture. Désolation au petit déjeuner. Indignation au déjeuner. Dépression au dîner. A ce régime-là, là, ma bonne humeur se délite. Je ne vous dis pas l’effet désastreux que produit sur un jeune chien adulte un tel modèle, par ailleurs. Moi qui nourris le secret espoir de fonder avec la Tempête de mes rêves une meute nombreuse, et ce, allocation animale ou pas, car je ne subordonne pas la natalité aux avantages financiers, moi que la nature incline à vigoureuse fécondité, moi dont le cœur tout doux appelle à sa moitié, moi qui suis taillé pour la passion, je m’interroge.
Que penser du couple ?
De la désunion de deux êtres, faits l’un pour l’autre ( je cite ) ?
Le désamour existe-t-il ?
Et en définitive, l’amour existe-t-il ? saperli-tempo-pette !

Je lance ici un SOS. Car de toutes mes certitudes, je suis dégringolé. Mais de grâce, épargnez-moi les poncifs. Une de perdue, dix de retrouvées, j’en ai déjà soupé.

Cousin Don Cristobald ne se laisse cependant pas abattre. Tous les matins, il dit un je-vous-salue-mari, devant la glace. De cette calvitie, pourrais-je encore tirer avantage ? Aurais-je le dessus sur les plus chevelus ? Et le Seigneur lui répond :
-       A certaines conditions.
-       Lesquelles, grands dieux ? Dites, et je vous écouterai, dussé-je m’en coûter quelques implantations…
-       D’abord, cesser ce narcissisme. Tu as l’égo gonflé et les chevilles enflées. Passons le ventre, que seul un peu de sport pourrait faire fondre.
-       Mais comment me résorber, au sens propre et au sens figuré ?
-       Toi seul le sais.
-       Seigneur ! Mais je ne sais plus rien, rien de rien, je vous assure. Hier encore, je naviguais, pilote hauturier, passais le Pas de Calais, frisou les doigts dans le nez, mais aujourd’hui, je me noie dans mon verre adam.
-       Tu vois, tu t’écoutes trop parler. Tu ne te soucies que de virilité. Ne comptent que ton moi surdimensionné, les occasions de briller en société, et ce n’est pas en faisant le fanfaron dans les dîners que l’on apprend à écouter. Or, tu ne sais pas écouter, tu ne retiens que ce qui te revient. Donna Cristobaldine t’a pourtant donné maintes fois une nouvelle chance ! Mais non, esprit buté et rétroversé, tu ne l’as point entendu. C’est « une épaule sur laquelle se reposer » qu’elle demande. Même si la force évocatrice de la formule peut surprendre ( tu n’as en effet ni la carrure de Clint Eastwood ni la taille de cou de Bruce Willis mais la nature t’a doté d’autres talents oh combien satisfaisants qui, chez eux, au demeurant font défaut cruellement ; je ne citerai que l’usage de la parole, à titre d’exemple ) et ce n’est pas en grevant le budget du ménage par l’achat de nouveaux costumes que les choses s’arrangeront ! Tu dois apprendre à décoder les second, voire troisième degré.
-       Est-ce à dire que l’amour est escalier ?
-       Ré-écoute la marche nuptiale de Mendelssohn pardi !
-       Oh, je vois !
-       Tu ne vois rien du tout encore mon pauvre ami. Tu sais fouiller la mer du haut de la passerelle, taquiner la balise et jouer des haussières mais la vie, la vraie vie, au quotidien, au petit traintrain, la vie de série, la vie en petit, ton orgueil te la dissimule… bip, bip, bip…


Hélas la connexion a coupé, la livebox clignote. Mais c’est bien assez pour une première communication eu égard aux faibles dispositions de l’intéressé. Don Cristobald rebouche le dentifrice, sort de la salle de bain, va mettre sa serviette à sécher car à présent, personne n’est là pour passer derrière lui, essuyer l’eau par terre, mettre au sale son caleçon, voilà la leçon !
Pendant ce temps-là, Pap’hum range les bols du petit déjeuner, remet le beurre au frigo, essuie la table avec le bon torchon, pas celui de la vaisselle. Puis il saisit un crayon.  Un tiret, huile d’olive ; un tiret, sac poubelle ; un tiret, crème fleurette ; un tiret, riz gluant ; un tiret, foie gras de chez Fauchon, non, un tiret, foie gras de chez Fauchon, paté de foie en promotion. Un coup de balai peut-être ? Pouh, à quoi bon ? On ne mange pas par terre… Si justement ! j’objecte. Et voilà notre Pap’hum qui allume une cigarette. De la mollesse, encore de la mollesse, toujours de la mollesse ! Mais qu’ai-je fait aux grands dieux pour hériter d’humains pareils ? Et qui de se plaindre, et qui de renifler, et qui de se mettre en colère quand il faudrait ouvrir son cœur pour en montrer l’envers ?

Pour tout vous dire, je ne sais qu’espérer de cette cohabitation. Je crains qu’ils ne se montent le bourrichon.

J’ajoute que tous les matins, le cousin va faire de la plongée du côté des Sanguinaires. J’y vois là symbole on ne peut plus criant… Croyez-vous que cela aide à remonter la pente ? Franchement ! Non, non et non, c’est pas bon !

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