La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mercredi 28 mars 2012

le journal de Tempo n°25, chronique d'un chien presqu'humain


Nouvelle session du Grenelle de …

-       A présent, comment nommer notre Grenelle ? demande Pap’hum. 
La nouvelle session vient de commencer. Cousin Don Cristobald prend place sur le canapé, je prends place à leurs pieds, hiérarchie oblige.
Ces discussions me fatiguent. Contraindre la réflexion alors qu’il faudrait agir urgemment me semble du dernier paradoxe. Je grogne. Je rêve d’ouvrir la porte, de franchir le grillage et de courir ventre à terre jusqu’à l’appartement de Mam’hum pour lui sauter au cou, lécher à qui mieu-mieu sa petite menotte, japper de contentement, aboyer d’excitation, et renverser au passage quelque bibelot.
Je me sens l’âme d’un émissaire. A trop parler, les humains s’emberlificotent. Et au final, le cœur s’enfonce dans le bourbier des atermoiements, balloté entre pour et contre. Je hais l’examen des situations, l’analyse des avantages et des inconvénients. Je suis un chien d’action, moi ! Je rêve de sonner chez elle, toutes tergiversations cessantes, deux pattes avant sur la porte, la truffe collée à son nom, pile poil dans le faisceau du judas. Elle m’ouvrirait en chemise de nuit car je la surprendrais au saut du lit, au moment précis où même la plus solide des déterminations fléchit, griefs et déceptions à l’esprit endormis. Reviens, Mam’hum ! lui dirais-je, reviens, répéterais-je d’autorité, parole qu’on ne lui a jamais dite ! ; mon intervention ne saurait souffrir d’aucune objection et nul papotage,et je me précipiterais sur son lit comme en terrain conquis. Descends de là ! s’écrierait-elle. Je pencherais mes oreilles en arrière, simulant soudaine surdité et irais enfouir mon nez dans ses oreillers, grisé du parfum de ses cheveux, enivré de la sudation de la nuit. Tout ceci, hélas, au conditionnel. Tout ceci soumis à la contribution des astres, du hasard et des circonstances. Grande en effet est l’incertitude qui règne sur mon scénario. Retrouverais-je le chemin de son appartement ? Comment ne pas envisager qu’elle soit sortie ? Et dans son lit, trouverais-je autre chose que ses oreillers ? Un truc en forme de chien qui me remplacerait ? Qui nous dirait à Pap’hum et moi qu’elle en a fini avec nous, qu’elle nous oubliés, abandonnés, jetés comme une vieille paire de croquettes ? Dans mon empressement à aller l’assurer de notre fidélité, me serais-je trop vite emballé ? Subitement, j’ai envie de tout envoyer promener, de retourner tout petit chiot dans son panier à bûches, de faire pipi sur le carrelage et de me rouler dedans pour que l’on cesse tous ces enfantillages, que l’on se souvienne des jours où le soleil entrait par les grandes baies vitrées de nos cœurs associés, de nos vies mélangées. La sienne était mienne, la mienne était leur. Qu’est-ce que nous allons devenir ? Comment notre histoire va-t-elle s’écrire ? Quelle page doit-on tourner ? Notre séparation fait-elle partie de notre histoire ? Je ne sais quel statut lui donner. Je ne sais quel avenir construire. C’est toutes nos fondations qui sont ébranlées et le bateau prend l’eau de toutes parts. Et le Commandant, va-t-il lui aussi quitter le navire ? Bien sûr, je le vois bien, chacun de son côté essaie de faire bonne figure et donner aux circonstances un semblant de sens. Mais au fond, au fond de la cale, y’a un trésor qui tant bien que mal surnage : l’idée de notre famille. Et cette idée, c’est moi qui la donne en plein. Car à trois, on forme une famille, on met du tiers dans le toi et moi. Que n’ai-je trop conscience de n’être qu’un substitut du petit d’homme qu’ils n’ont jamais eu, faute à pas de chance. Je porte leurs regrets, l’insuffisance de la nature. Et ce fardeau donne à mon existence une responsabilité. Alors voilà ce que j’envisage.
Tout d’abord, chacun semble avoir perdu de vue les immenses qualités dont l’autre est pourvu. Je me propose donc de leur rafraîchir la mémoire. Commençons par Pam’hum. Il sait comme personne imiter l’albatros à l’atterrissage et ce dans la plus grande dignité, premier point. Deuxième point, il ferait le tour du monde sans GPS ni carte IGN car comme les mouettes, il a une boussole dans la tête ;  du coup, il ne perd jamais le Nord à la différence de Mam’hum qui est championne de la désorientation – la sienne et celle des autres, soit dit en passant. Il reconnaît le faucon crécerelle, le merle d’eau, la grue cendrée en une fraction de seconde, c’est le jiz, dit-on chez les ornithologues pour désigner cette qualité, troisième point. Il est mauvais joueur au go mais joue avec 4 handicaps pour laisser gagner Mam’hum, quatrième point. Il se lève toujours de bonne humeur, non, c’est faux, plus depuis que Mam’hum est partie. Il collectionne les calembours, invente des mots nouveaux, il plaisante, il fait l’andouille, le pitre et le mariole, non plus, c’était vrai avant mais plus maintenant… En fait, Pap’hum perd peu à peu ses qualités. Le départ de Mam’hum aurait-il à voir là-dedans ? Pap’hum a changé. Je ne le reconnais plus. La vie n’a pas de sens sans Mam’hum me répète-t-il tous les soirs en me brossant le dos et nous courbons l’échine tous les deux sous le poids de notre misère.


Mais  il y a des serments qui dépassent les volontés. Je me raccroche à cette idée. Je cherche des signes partout qui nous diraient où se dirige notre destinée. Nous sommes tous les trois à un carrefour géant sans signalisation pourtant.
Mais me voilà qui de nouveau perd le fil de mon propos. J’en étais à leurs qualités. Celles de Mam’hum à présent. Même en tablier de cuisine, en jogging défraîchi, en bottes de pluie, Mam’hum garde la grâce d’une reine d’Egypte. Petit un…

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