La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

jeudi 8 mars 2012

le journal de Tempo n°22, chronique d'un chien presqu'humain


Je demandais récemment : l’amour existe-t-il ? Je m’aperçois maintenant que cette question est incomplète. L’amour existe évidemment, je l’éprouve pour Mam’hum, et ce, de mémoire de chien, depuis toujours. La vraie question est : l’amour existe-t-il durablement ? Non pas ces embrasements perfides à la Casanova, non plus ces flirts de midinette ou ces passades donjuanesques. Ces émois-là, s’ils sont plaisants, n’en sont pas moins terres stériles sur lesquelles ne poussent que griffes de sorcières, votre continental chiendent. Encore que l’on voit dans la littérature des coups de foudre incendiaires que la raison ne pourrait éteindre de son camion de pompier et qui ravagent maquis entiers avant qu’ils ne renaissent, dit le berger, cent fois plus beaux[1].
Mais, soyons honnêtes, ce qui fait tourner la tête n’est pas conquête en soi mais bien la certitude que l’on obtient de l’autre de n’être abandonné. Je sais, cette vision de l’amour peut provoquer chez le lecteur, indignation. Comment ? Aimer n’est-il pas désintéressé, don de soi, et tout le tralala ? Je pense que non. Et c’est même à la force de la peur de l’abandon que l’on mesure l’attachement. On ferait tout pour ne pas retourner à l’état de solitaire que pourtant la vie dans sa perspective ultime – la mort – est et sera. Je ne peux en dire davantage, sans descendre dans mes profondeurs et tourner freudien. Je m’arrêterai donc là, laissant au lecteur le loisir de m’éditer, euh, non, de méditer ma perception.

Toutes choses étant égales par ailleurs, - j’aime ces introductions qui posent son orateur - l’amour peut-il connaître un developpement durable ? Autrement dit, peut-il être viable, vivable et équitable ? L’amour est une planète. Et dieu sait si l’amour souffre de l’effet de serre ! L’amour est en danger. Voilà la vérité[2]. Car nous avons abusé de ses surfaces arables, de son énergie fossile et de ses trésors de bienfaits, sa chicorée en somme. Nous l’avons saignée ! Nous l’avons épuisée ! Je me souviens de mes exigences maintenant : je voulais de Mam’hum non pas une caresse, mais deux, mais trois, imaginant benoîtement ses chaudouxdoux renouvelables. Quelle erreur !  Il eût fallu les partager, et songer aux plus démunis, chiens sans abri, sans leur Mam’hum, leur puits. Il eût fallu à chaque plante mâchonnée, replanter et ainsi cultiver notre petit potager, tel que le recommandait Voltaire. Il eût fallu fonctionner basse consommation et stopper net toutes nos pollutions. Oui, il eût fallu. Mais c’est trop tard. Le mal est fait. Alea jacta est,  disait César, enjambant le Rubicon ;  fini de jacter, je traduis. Il faut agir ! Et vite ! car le niveau des océans monte, le désert avance, les cataclysmes les plus violents sont imminents, et les vendanges de plus en plus précoces ( nous commanderons bientôt notre Chianti à Edimbourg et notre Riora au Canada… j’en frémis ).
Sauvons notre planète ! 5 minutes de répit pour les croquettes !  Et ces slogans, ces symboles, s’ils sont puissants, ne sont en fait que sparadraps sur jambe de bois. J’ai convaincu Pap’hum : c’est une organisation qu’il nous faut, une Stratégie Conjugale de Developpement Durable, des objectifs, des axes, des orientations, des défis, des enjeux, des agendas, des chartes, des engagements, des conférences, des sites dédiés et des rapports. Hola ! Comme tu y vas, me dit Pap’hum ( Ah ! frilosité quand tu nous tiens… ), un peu de priorité !... Je redescends d’un cran. Un peu de suite dans les idées !... Deux crans. Un peu de… Quand je suis redescendu sur terre, Pap’hum me dit :
-       Tu as raison Tempo. Il nous faut notre Grenelle.
Et d’un coup, c’est un autre homme. C’est le Commandant ! Il se jette sur sa serviette, sort un bloc-notes et un stylo.
-       Toi, tu seras vice-président.
-       OK, Mon Commandant !  Ma mission ? Son nom de code ? Vice ? Vice de forme ? Parfois, mon cerveau fabrique autant de questions à la seconde que poussent les dendrites dans toutes les directions et ç’est comme une bombe atomique.
-       Hou là ! Du calme Tempounet ! Tu t’emballes. Et tu nous fais perdre le fil.
Pap’hum travaille en mode linéaire, le cousin Don Cristobald, en mode simultané. Je file le chercher.
-       Kesaco ? dit-il d’abord en mode texto.
-       On ouvre un Grenelle de l’Emmerdement, euh, non… enfin, on verra plus tard pour le titre.  Tu veux y participer ?
-       Si amico, répond Cousin Don Cristobald, avec l’accent.
-       Mais une chose après l’autre. Tout d’abord, Tempo, je vois que tu n’as pas compris. Le vice-président est le sous-président et moi, je serai le Commandant Président, insiste mon Pap’hum.
-       Ouah ! Ouah !
-       Un petit président, quoi.
-       Ouah !
-       Un présidentounet. Voilà, tu es content ? Oh le gentil chien à son pépère. Bon. Poursuivons. Petit a. les finalités. Petit b. les plans. Petit c. les moyens. Trois colonnes.
-       Et si on faisait une grande fête avec des gobelets en papier recyclé, des assiettes en feuilles de bambous et des couverts…
-        Et une dînette de croquettes non modifiés ? J’ajoute.
-       Ce serait super chouette ! continue Don Cristo. On allurmerait dans toute la maison des petits lampions, on grignoterait des graines de tournesol à l’apéro, et tiens, on ferait un ban aux étoiles, hip hip hourra à toutes les constellations, on danserait tout nu notre hymne à la nature et on chanterait à la bougie la chanson de Souchon, allez Tempo avec moi ! :
«  On avance, on avance, Tous ces petits moments magiques de notre existence ; ouah ouah
Qu'on met dans des sacs plastique
Et puis qu'on balance, ouah ouah
Tout ce gaspi de nos cœurs qui battent,
Tous ces morceaux de nous qui partent, ouah ouah
Y'en avait plein le réservoir au départ.
On avance, on avance, on avance ; ouah ouah ouah !
C'est une évidence :
On a pas assez d'essence ; ouah ouah
Pour faire la route dans l'autre sens. On avance…
-       Désolé de vous contredire, on n’avance pas du tout. On n’a encore rien dans nos colonnes.
Et voilà comment toute une belle énergie créatrice peut d’un coup être condamnée. Pap’hum est un bonnet de nuit. Don Cristo se rassoit, je me recouche sur mon coussin.
- Toute une série de travaux a mis l'accent sur des problèmes globaux graves, reprend-il, je cite 1) environnemment : dérèglement romantique, raréfaction de cadeau potable, abandon des zones primaires d’échanges et des réservoirs de calino-diversité. 2) Social : pleurs endémiques ; outrages ;  petites tyrannies ; réticences ; coups fourrés ; fanfaronnades ; sous-entendus ; conflits ; accroissement des inégalités ; orgueil ; vie de patachon ? ETC. Or, toutes nos activités quotidiennes ne seront possibles que si les équilibres biologiques sont maintenus. S’engager dans le développement durable, c’est répondre aux besoins féminins (le développement humain) avec l’économie comme moyen (y’a pas de petit profit ) et les ressources naturelles comme contraintes (le pauvre sort masculin) . Faisons le point. Quel est l’état de nos ressources ?
-       Pas folichon, repond Don Cristo en retournant ses poches.
-       Bon. Je note : ressources matérielles, point d’interrogation. Ressources intellectuelles ? Nous n’avons pas encore atteint le point de rupture mais l’exploitation de nos idées doit être rationnalisée. Tu confirmes ?
-       Tu veux parler d’un protocole ?
-       Oui.
Je pique un petit roupillon le temps qu’ils élaborent l’ordinogramme ad hoc.
-       Très bien. On teste demain et on ajuste si nécessaire. Cf la roue de Deming. Ressources corporelles ?
Et les voilà à poil. De ce côté-là, c’est plutôt inégal. Notons : des épaules sur lesquelles se reposer ( Pap’hum ) , des bras pour passer vigoureusement l’aspirateur ( Don cristo ) , des jambes pour pédaler dans la semoule ( Pap’hum ) , le dos large ( Pap’hum ), les pieds sur terre ( Pap’hum ), la tête en l’air ( Don cristo ), et sur le torse bien dessiné ( Don cristo ), chemin des dames pour les faire rêver. Sera-ce suffisant ? Rectifications après réflexion : chemin des dames pour la faire rêver, n’allons pas tout faire foirer. Reste à l’étude : les réservoirs de capillarité qui vont inexorablement en s’amenuisant.
-       La perruque ? suggère Pap’hum. Don Cristo répond par une moue. Les implants ? Trop voyant. Le bonnet de rasta ? La casquette du Père Bugeaud ? Le canotier de Maurice Chevalier ? Le casque de moto ? Le turban de Lawrence d’Arabie ? Le sac plastique recyclable ??? Une commission examinera la faisabilité de chaque action, assortie d’un coefficient de pondération.
-       Venons-en à présent aux ressources spirituelles. Calembours, gags, pitreries, contrepètries, efficacité à amuser la galerie. Bilan ?
-       A la hausse, cher Président ! A la hausse, c’est incontestable. Nous sommes loin d’avoir épuisé nos gisements ! 
-       Voilà un point qui n’est pas mineur… Sans jeu de mot, hein !!!
Eclats de rire, tapes sur le ventre et franche gaieté et surenchère de bons mots et re- éclats de rire et tapes sur le ventre.
Je rappelle le principe suivant lequel le développement durable, c’est répondre
aux besoins féminins avec  l’économie comme moyen. Or, ils en font des tonnes. Et dans ce domaine, l’exagération confine au ridicule. Pap’hum n’est pas d’accord. Je développe. Pap’hum n’est toujours pas d’accord. Don Cristo reste neutre et va se déboucher une bière. Quand il revient, nous sommes enfin tombés d’accord : de toute façon, Mam’hum est le meilleur public. Elle rit d’un rien, elle accueille de ses faveurs  toute bouffonnerie, elle s’esclaffe à la moindre plaisanterie, même quand elle ne la comprend pas ; on lui chatouille les zones gélogènes (aisselles, côtes, plantes des pieds) : elle se tord de plaisir  ; elle renoue avec sa prime enfance avec "Je te tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui rira aura une tapette..." car avouez-le, c’est irrésistible ; elle pique de longs fous rires en ouvrant grand la bouche comme une petite fille, c’est dire si elle se presse de rire de tout… de peur d’être obligée d’en pleurer. Et à la voir ainsi, tordue, mdr[3], nul ne peut résister à se laisser aller à pareil abandon et c’est dans une coopération de diaphragmes, une meilleure combustion de l'oxygène, plus sûre expulsion des déchets, plus grande commotion cérébrale, tous systèmes cardio-vasculaires, systèmes digestifs et métabolismes généraux confondus, que se poursuit la discussion. Car le rire est communicatif, autant que le bâillement. « L'homme ne peut jouir de ce qu'il sait qu'autant qu'il peut le communiquer à quelqu'un. » disait Giacomo Casanova, avant moi.
Chère Mam’hum, notre rayon de soleil, notre astre, notre vitamine A. Chère ? Non, voyons. Une mam’hum, ça coûte rien.

Fin de la session de notre Grenelle. Reprise des discussions ultérieurement. Petite collation prévue ; possibilité de se connecter en Wifi.







[1] Comment ça, je regarde trop les feux de l’amour ??? N’importe quoi … 
[2] Si vraiment elle dérange, ma fortune est faite. Faites le calcul : Al Gore retire de chaque conférence 500 000 dollars, tout frais annexes payés. J’en suis à ma 22ème ! Ce serait le Jack-tempote !
[3] Mdr : morte de rire, abréviation courante en mode texto.

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