La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mardi 31 janvier 2012

le journal de Tempo n°18, chronique d'un chien presqu'humain


Raplapla. Ecrasé de chagrin. Un rouleau compresseur me serait passé dessus, je serais dans le même état. Un état indéfinissable entre la compote de prunes vertes et le pudding de Noël, laxatif et constipé. Car en dépit de ma hauteur de vue, je sens bien qu’à tout moment je pourrais me lâcher et me vider de ma peine sur le tapis tout en souffrant d’atroces crispations abdominales, équivalentes à la contention de mon esprit. Je voudrais que les choses reprennent leur aplomb, j’en dénigre ma ration tant c’est ici la désolation. Mon monde si d’ordinaire arrangé dans le bon goût et les jolies manières, est entré en collision avec je ne sais quel bolide, et je suis là, sans rien pouvoir faire, si ce n’est constater les débris, rentrer ma tête d’autruche dans le sable du temps perdu, du temps où il était encore temps, mais maintenant c’est trop tard. Hier encore, j’étais là, installé dans mon douillet confort, nabab faisant étalage de son opulence, dilapidant à tort et à travers dans  la prodigalité des caresses frisant l’arrogance quand il y a tant de nécessiteux ; je réclamais même, pur caprice, davantage, toujours plus, encore et encore, des douceurs, des dons et des générosités dont j’ignorais la rareté. Je m’empiffrais, je me baffrais de ce pain blanc et Mam’hum me lavait les dents. Aujourd’hui, à supposer qu’enfin la lucidité m’ouvre les yeux, j’emporte mes regrets tout au bout du jardin où depuis j’habite un fond de trou. J’ai sans doute gagné en humanité ; le manque, que d’aucuns croient ne frapper que les gens, m’a à présent désigné de son doigt pointé, là, où ça fait mal. J’ai gagné en humanité, oui, j’éprouve le fini, j’éprouve les remords. Toutes choses que la bête ignore normalement, dans l’incapacité de s’extraire de l’éternelle nature.
La maison de Pap’hum est en colère. L’aspirateur est tombé en panne, je constate avec dédain les boules de poils que sans brossage régulier je laisse un peu partout. Indifférence pour ma pitance. Peu d’enclinatinon au jeu. Petite anémie peut-être. Réaction timide à la caresse. Récompense sans effet. Dresse  encore l’oreille droite à son nom, l’oreille gauche semble physiologiquement indemne néanmoins. Une cure de croquettes enrichie suggère le véto, sans véritable certitude. Une cure de Mam’hum serait plus appropriée. Au fond, Mam’hum est  ma croquette préférée. 
Serais-je condamné ? Serais-je en train de perdre le boire et le manger ? l’espoir et la gaieté ? C’est l’histoire d’un véto qui dit à son patient : Il vous reste 10 à vivre. 10 quoi ? dit le patient sus-nommé, 10 années, 10 mois, 10 jours ?? 9…8…7… C’est une blague, pour dérider Pap’hum. Ouais, il dit, pour encourager ma bonne volonté puis il allume une cigarette. Sans vider le cendrier. Met les pieds sur la table du salon beaucoup trop encombrée. Une revue tombe par terre. Va pas la ramasser. Le téléphone sonne. Va même pas décrocher. Et reste là tout chiffonné sur le canapé, à tirer des bouffantes, des idées délirantes. C’est comme ça tout le week-end. Pap’hum attend lundi pour repartir travailler et faire régner partout la sécurité là où toute la sienne est toute ébranlée.
Le lundi, je pense que tout est fichu
Le mardi, je pense que tout est encore possible
Le mercredi, je me dis que la cause est perdue
Le jeudi, l’euphorie me gagne dans un ultime sursaut d’absolu
Pour retomber, le vendredi, au point mort, tout est à recommencer, tout est à réinventer.
Le week end est encore un supplice. Pap’hum dort beaucoup, ne refait jamais le lit. Quand il se lève, met ses chaussons pas en entier, prépare le petit déjeuner mais les tartines sont mal beurrées, le thé est en sachet, le sucre… encore oublié d’en acheter. Il allume la télé, regarde le moindre monde parler au moindre monde quand lui, il a personne à qui parler. Et là c’est l’indignation qui me gagne car enfin je suis le meilleur ami de l’homme, l’aurait-il oublié ?  Compterais-je pour des prunes ?

Encore un week-end de perdu.
-    Dix de retrouv…
-    La ferme Cueillette ! Tu m’emmerdes à la fin, fiche-moi la paix ! Avec tes dictons à la con… Quand t’as raté une mésange, je te dis « dix de retrouvées » moi ?!!! Hein bon alors… T’es pénible à la fin…
-    Mais arrête de te morfondre ! Allez ressaisis-toi mon vieux. La terre ne va pas s’arrêter de tourner parce qu’un couple sur deux divorcent en France, si j’en crois les sondages de l’IFOP. Même les couples présidentiels divorcent de nos jours alors c’est dire si le pékin moyen y est exposé !
-    Je vois pas le rapport. Et d’abord je t’interdis de parler de divorce, tu vas nous porter la poisse. Et puis, je suis apolitique. Je me contrefous du président, me contrefous du parlement, me contrefous, voilà. Ma seule cité, c’est la cité de la joie !
-    La cité de la joie, n’importe quoi ! cé-cité oui ! L’aveuglement ! Vous les mâles, vous ne voyez jamais plus loin que le bout de votre nez ! M’enfin, il faut les faire rêver, les enchanter, les bouleverser, les EMOUVOIR, oui, avec délicatesse, faire de la vulgarité du monde, un haïku ! Dehors vous faites les fiers à bras, les sauveurs de l’humanité et hop une fois rentré, fourbu, on se débine, on est tout mou, juste bon pour un ou deux sudokus. Et puis, un jour, on met la table devant la télé et dans l’assiette qu’est-ce qu’on mange ? Les ennuis de la journée, c’est ça la vérité.
-    Arrête un peu tes clichés, tu veux.
-    Mais remuez-vous un peu tous les deux ! Non mais regardez-les ! Et je traîne la patte, et je me laisse aller ! Du nerf, mon vieux, du nerf ! C’est pas comme ça que ça va passer !
-    Tu m’ennuies avec tes phrases toutes faites. T’as pas un petit poncif sur l’indépendance des femmes, des fois ? 
-    Très bien, très bien. Je vois que Monsieur nous la joue blasé…
-    Et même en admettons que les hommes soient si différents des femmes, qu’ils se débrouillent très mal, est-ce une raison pour les quitter au motif d’un trop plein de quotidien ? Est-ce équitable ? est-ce charitable ?
Là-dessus, Cueillette me laisse tomber pour un rouge gorge grassouillet. Dans notre malheur, l’hiver est arrivé plus tôt cette année, les passereaux sont engourdis, les feuilles sont tombées par terre et la pelouse en est toute jonchée, le ciel est bas, le soleil est pâle. J’ajoute que délibérément j’use de cette littérature à deux balles sans tendre vers l’excellence et c’est là grand effort car à embellir la vérité de phrases enluminées ferait de notre épreuve château de conte de fée quand le malheur s’abat sur ses trois cents cheminées ; or, le malheur rend sec. Arrière les adjectifs ! Dehors adverbes et conjonctions ! Je renonce à tous ces mignons qui d’ordinaire donnent à ma prose un air joufflu en bonne santé ; je renonce aux comparaisons, aux métaphores et aux analogies, même à cette merveille qu’est la redondance, par l’entremise de laquelle je m’écoute parler, vanité des vanités. Je veux des phrases comme des cellules de moines, des verbes faire et passe-partout en pagaille, des point-à-la-ligne sans repentir,  et du tranchant de mes phrases hacher menu la vérité, valeur suprême s’il en est, aussi banale soit-elle, aussi féroce soit-elle ; et faire du cru ma religion.

De son côté, Pap’hum fait tout son possible pour rendre à notre niche coquette son apparence d’antan, son pittoresque lorrain. Mais le cœur n’y est pas. La quiche lorraine un pensum à avaler.

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