La langue qui nous habite...

La langue qui nous habite...
La langue qui nous habite...calligraphie encres de chine et gouache de Odile Pierron

mercredi 5 octobre 2011

27 juin
J’ai suggéré un peu hâtivement de remplacer violoniste par archétiste. Je n’en ai pas mesuré toutes les implications. Grammaticales, tout d’abord. Si nous changeons violoniste pour archétiste, en toute logique le mot violon subit même transformation. Et c’est là que des obstacles apparaissent, d’ordre pratique, cette fois. Voyez-vous-même. Primo, l’expression populaire « Autant pisser dans un violon ! » devient « Autant pisser dans un archet ! ». Je suis perplexe, car si la réussite était déjà fort aléatoire, elle me paraît là carrément compromise. Deuxio, « Les sanglots longs des vi-o-lons de l’automne bercent mon cœur monotone » dit Verlaine. Or, qui croiraient aux sanglots longs des archets ? sans liquide, sans cette fameuse « diérèse » que les candidats au bac espèrent dûment placer ? Et si pour rétablir les pieds, nous tentons, sanglots longs des arch-i-ers, l’effet est lamentable pour cause de poésie ruinée, vous en conviendrez. Mais poussons plus loin notre analyse lexicale :
« Accordez vos violons » entend-on dire souvent. « Accordez vos archets » alors ? Gênant, vu que les baguettes ne s’accordent pas. On les tend et on les collophane, voilà tout ( on en joue évidemment ! mais la question n’est pas là…) . Essayons toujours. « Tendez vos archets » ?? « Frottez votre collophane » ??? Je ne sais qu’en penser. Un peu intello, non ?
Le dictionnaire cite aussi violon, terme argotique pour prison. Dans les polars d’Audiard, le malfrat, Jean Gabin par exemple, dit : « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer au violon !!! » Avec violon, notre Gabin, la bouche de travers, il roule des yeux sur le o, sur le on ; avec violon, il tance le gars, on a la frousse, quoi ! Après substitution -: « Emile, à tournicoter comme ça, tu vas nous flanquer à l’archet  !!! » vient comme un cheveu dans la soupe, on y comprend goutte.
Quant au fameux « violon d’Ingres » de tous les amateurs : il était cultivé pour le plaisir ? il le sera pour le devoir. On lui reconnaissait des ambitions modestes, on le punira de toute médiocrité. Il suivait le rythme du dilettantisme, il se paluchera méthodiquement les degrés du Sevcik opus 2 part 2, après avoir médité l’introduction : «  Die Anzahl der möglichen Kombinationen von Stricharten und Bogenführungen inst unbegrents » trad. : « le nombre de combinaisons possibles des tenues d’archet et des formules de coups d’archet est INFINI ». Infini !? unbegrentz ! encore plus déprimant en allemand. De fait, le recueil présente sur la seule première étude, cent cinq coups d’archet différents, cent cinq occasions de s’arracher les crins. Personnellement, en perspectives d’exercices de ce genre à l’infini, j’abandonnerais illico mon hobby.

En raison de quoi je demande l’amendement de ce projet ridicule de rectifications de la langue française, son instigateur étant purement et simplement un inconscient.


27 juin toujours
Souvent, le jour du bain est réservé un jour de semaine, un peu comme le jour de la lessive de l’ancien temps. Tous les mercredis par exemple, je plongerais allègrement pour me savonner. Je pourrais l’anticiper, m’y préparer le poil en quelque sorte, et profiter pleinement des dernières heures bénites où se complaire dans la saleté est toléré. En prévision de ma pureté future, le plaisir de la fange en serait dupliqué. Hélas, dans ma meute famille, le bain n’est point chose fixe. Il est inattendu. A tout moment, le bain peut se présenter : le matin, l’après-midi, le soir. Même le dimanche, le bain s’est déjà vu. Je ne critique pas, non, d’autant que les humains sont bien inégaux devant le sens de l’organisation, sans rien pouvoir y changer. Seulement, cette improvisation est facteur de perturbations. C’est qu’à 5 mois, le chiot a besoin de ses repères comme le navire a besoin de ses  balises en haute mer ! Alors que là, je tangue, je roule et je gîte, au gré des vents imprévisibles de la propreté. Cela dit, j’ai développé une sorte de sixième sens. Cette capacité conjugue observation, attention, flair. Je ne suis donc pas complètement démuni. La grande prêtresse du bain est ma maman humaine. La première chose à faire est donc de se concentrer sur les manipulations de serviettes. Je me poste aux endroits stratégiques : la machine à laver, le placard de la salle de bain, l’étendoir extérieur, le tancarville, accessoirement devant la corbeille du repassage – bien que cette coutume traditionnelle ait pratiquement disparue dans ma meute famille. Jusque là, rien de bien difficile. L’air de rien, insouciant des tribulations humaines, j’enregistre les allers et venues maternelles. La confusion avec les préparatifs d’une sortie-plage est impossible car dans ce cas, on me met la laisse. Or, jamais humain ne prendrait son bain, ceinture conservée. Quand Maman hum’. ( apocope de familiarité que je m’acorde ici ) sort le shampoing, je suis bon. Aïe, aïe, je me dis. J’attends une seconde, deux secondes, rarement plus. « Tempo ! Viens mon petit poulélou ! » La porte de la salle de bain s’ouvre. Papa hum’ rapplique. Cueillette file. Maman hum’ se rapproche. Pressentant l’irréparable, je me couche fissa, effondré par un réflexe de sidération, atavisme de la race. Le cœur battant, j’attends. Comme vous voyez, je ne suis pas chiot à m’esquiver. Je sais faire face. « Allez, petit Tempo, au bain ! » Pas d’erreur, c’est mon tour. J’espère encore. Je rentre la tête entre mes pattes, j’escamote le relief, corps applati, vaincu. «  Allez, ne fais pas le bête ! » Mais que pourrais-je faire d’autre ? « Allez, viens mon joli Tempounet...» Papa hum intervient. Un sourcil tremble. « Allez, hop ! hop ! hop ! » ils frappent à présent dans leurs mains, en cadence, militaires. Tant de bonne volonté viendrait à bout des plus retors, je m’incline : je me lève. Le coeur lourd cependant, j’emboîte le pas à Mam’ et Pap’ hum’. Quand la procession arrive à son terme, j’ai définitivement renoncé à mes effluves personnelles. Je récite mentalement le « Donnez-nous notre bain quotidien » de circonstance, histoire de me donner du cœur au ventre puis d’un geste paternel, Papa hum’, torse nu, me soulève et me dépose, sacrifié au fond de la baignoire. Puis, chacun joue sa partition : qui de règler les flux de chaud et de froid, qui de déboucher le flacon ; qui de tester la tièdeur du jet, qui de déplier les serviettes ; etc. Je reçois enfin la douche, mitigé, comme un robinet. C’est trop CHAUD !!! J’esquisse un mouvement de côté pour signifier de réviser la procédure. Au secours, je me NOIE !!! On me frictionne le dos. NOOON, ça pique ! on me frotte les pattes. Aïe ! on s’insinue dans mes oreilles. A l’aide, je veux sortir d’ici !!! on me bouche les yeux. PITIE ! Pitié ! on m’décape, on m’rabote, on m’ponce, on m’cure ; en un mot comme en dix - Que n’ai-je tant souffert pour vivre cette infamie ? - on me TORTUUUUURE ignominieusement !!!!
( La suite a été censurée eu égard à la protection des mineurs et des esprits sensibles )

Au bout de longues minutes hygiéniques, je sors du bain, miraculé immaculé.
Au bout de longues heures mystiques, je réapparais parmi les vivants, pimpant, tel un premier communiant.
Aurais-je droit à une p’tite croquette ???

Rassurez-vous, je ne suis pas victime de mauvais traitements. Bien au contraire, les tendresses infinies de mes parents hum, leur patience et leurs ruses aussi me mettent progressivement en confiance. Le bain est de moins en moins redouté. Et puis Maman hum sait traiter les choses suivant un mode global : ma vaisselle et mes jouets sont du coup nettoyés le même jour et surtout, comble de la délicatesse, Terrinou subit le même sort. Terrinou est ma peluche, mon objet transitionnel selon Winnicott. Il s’agit d’un lapin mâle, à poil ras, sable, un peu comme moi. Très coopératif, il est le confident, le compagnon de fortune et d’infortune, l’adversaire auquel on se mesure, le putsching ball docile. Je le traîne absolument partout. Il se salit beaucoup. D’où bain. Lui, est lavé en machine à laver, honneur insigne que je ne connais pas. A 30 degrés, non repassable, mon terrinou tourne derrière le hublot : mousser, rincer, mousser, rincer. L’essorage est grandiose. Terrinou, 1400 tours dans l’estomac, est plaqué aux parois ; de minces filets d’eau comme sur le pare-brise d’un bolide, filochent sous la force centrifuge ou centripète ; médusé, je regarde les rigoles se transformer en figures du bestiaire médiéval. Mais tout à coup le tambour s’emballe, un balourd cogne, je me recule d’instinct. Ubi mon Terrinou ? (pour les non latinistes : où mon Terrinou ? ) Quand les sens trompent, la raison demeure : Terrinou est intra, forcément. Mi rassuré cependant, je reste là, prêt à faire intervenir les pompiers si l’aventure tournait mal. Enfin, tiré de son expérience newtonnienne - soupir du programme - mon alter ego me revient, le poil au peu hirsute, mais avec une allure de lavandière. A cheval sur deux fils à linge, à présent il sèche, luttant contre le vertige, moi dessous sinon ce serait le vide.

Plus tard
Comme je viens tout juste d’ingurgiter mes croquettes « premier âge, destinées à la croissance harmonieuse du chiot », je me dis qu’il est grand temps de vous présenter davantage ma meute famille. Pap’ hum’ porte des épaulettes, Pap’ hum transporte des documents importants dans une serviette. Y toucher exposerait à la punition suprême : l’isolement. Dieu m’en garde ! Quand Pap ‘hum’ est fatigué, les épaulettes piquent du nez vers l’avant sous le poids des responsabilités. Parfois le téléphone sonne : c’est la capitainerie ! Tout le monde, surpris par la sonnerie, s’arrête de respirer et toutes affaires cessantes me voilà relégué à la cuisine, éloigné du QG, tenu à l’écart des hautes affaires du gouvernement. Car à n’en pas douter, Pap’ hum’ est au service de l’Etat Central, sens du devoir et intégrité figurent comme deux traits obliques en bleu blanc rouge sur sa carte d’identité. Pap’ hum’, rassemble son sang froid, décroche le combiné : « Commandant B…, oui j’écoute ! » Oh !!! Commandant !!!
Tapi sur le tapis, d’un bond je me relève, torse bombé sous une rosette imaginaire, je file dans le jardin, réunir mon artillerie. Terrinou, au rapport ! Cueillette, au Q.G. ! et tandis qu’ordres et contre-ordres se succèdent en vue de grandes manœuvres, le Commandant Pap’ hum’ rejoint notre campagne militaire. Il me lance un bâton. A l’attaaaaaque !!! Je me rue sur le projectile, évite de justesse un dérapage sur le dallage, et dans un nuage de poussière, parviens à immobiliser l’attaquant de mes deux pattes avant. Ouf ! « Situation maîtrisée, mon Commandant ! », je crie à l’adresse de tout le quartier. Bien sûr nous simulons, nous sommes dieu merci en temps de paix et plus que tout attaché à régler les litiges autrement qu’en jouant au petit soldat. Ainsi, au contact de Mam’ hum’, nous apprenons Cueillette et moi à régler nos différents par la médiation. Mam’ hum nous place face à face, introduit la séance par un petit laïus ésotérique puis nous engage à confronter nos points de vue. De nombreuses querelles ayant trait à de banales rivalités fraternelles ont ainsi été soldées.
Mam’ hum’ elle travaille à son bureau. Je ne comprends pas exactement ce qu’elle fait mis à part burotter – activité générique exercée dans un bureau. Le séjour m’y est interdit, preuve que je suis encore trop petit.
Une autre fois, je vous présenterai ma meute famille élargie. J’investigue hardi petit en ce sens. Pour plus d’objectivité et de rigueur journalistique, je fais passer ce questionnaire, en amont de mon récit. Merci de le renseigner le mieux possible.

 1. Quelle est votre devise dans la vie ?



  1. Que pensez-vous des pensions pour chiens ?


  1. Etes-vous favorable à ce projet de loi en vue d’interdire la libre circulation des chiens dangereux ?



  1.  Etes-vous favorable aux croquettes allégées ?



  1. Trouvez-vous normal qu’on mette un chien à la laisse toute la journée?



  1.  Suis-je vraiment le plus beau toutou du monde comme le dit mam’ hum ?



  1. En l’absence de ma meute famille, seriez-vous prêt à m’accueillir ?



  1. A quoi jugez-vous l’intelligence d’un animal en quelques secondes ?



  1. Et pour les candidats au Brevet, en option : le chat est indépendant, le chien plus dépendant de ses maîtres. Vrai, faux ? Dissertez…


Merci de retourner ce questionnaire dûment renseigné à « Tempo le journaliste » pour le 10 juillet, délai de rigueur. Notez son adresse électronique : tempo.potin@waouwaoudoux.fr

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